Jolidon, Quels « cartons » pour quels publics ?
Jean-Paul Prongué
4) Quels « cartons » pour quels publics ?
On a déjà dit que le « Fonds Jolidon » est très varié dans sa thématique et ses centres d’intérêt : textes recopiés, contes imprimés et découpés dans des journaux, glossaires, fragments de grammaire patoise, cartes géolinguistiques, poèmes et chansons, contes, phrases happées dans le vif des conversations, questionnaires adressés à ces correspondants, etc.
Mais cette diversité thématique se conjugue avec un large éventail des degrés de difficulté d’appréhension de ces séries. Si n’importe qui peut lire un conte de Surdez imprimé dans « Le Jura » de 1950 et découpé par Robert Jolidon, peu d’internautes auront les capacités (et la volonté) de décrypter des glossaires et des locutions transcrites en écriture phonétique sur des bouts de papier.
Entre ces deux extrêmes, lexiques complets ou fragmentaires, cartes linguistiques, pièces de théâtre et enquêtes, textes manuscrits, imprimés ou dactylographiés, en écriture ordinaire ou phonétique constituent, dans un dégradé progressif des difficultés d’accès, l’essentiel des actes scannés dans le « Fonds Jolidon » et présentés au public sur notre site « djâsans.ch ».
Avec toutes les réserves qui s’imposent, on pourrait classer ces séries dans l’ordre suivant, en commençant par les plus faciles d’accès pour terminer par les plus difficiles, sans oublier les textes susceptibles d’intéresser les historiens et les folkloristes.
a) Public peu ou non patoisant, désireux de se familiariser avec le patois jurassien et avec le « folklore » régional.
Le carton « Surdez », composé d’articles imprimés, généralement en français, mais avec des termes patois souvent traduits, constitue une bonne porte d’entrée dans le « Fonds Jolidon ».
Le glossaire français-patois (et patois-français) de François-Joseph Guélat présenté dans le « Carton A », transcrit en écriture ordinaire, permet aux néophytes de s’initier aux bases élémentaires – et un peu scolaires – du patois bruntrutain.
Dans le « carton Poèmes », le lecteur peut prendre connaissance des « Lettres » en patois publiées dans « Le Pays du Dimanche » des années 1890 et dans la « Revue jurassienne » des années 1950. Il y trouvera également des contes, des couplets de chansons et des récits divers généralement transcrits en écriture ordinaire.
Dans le « carton Textes », plusieurs « paraboles de l’enfant prodigue » et des contes en patois transcrits en écriture ordinaire sont d’une lecture aisée.
b) Patoisants de niveau « moyen » désireux d’approfondir leurs connaissances
Les patoisants qui lisent l’écriture phonétique soigneusement calligraphiée peuvent accéder aux enquêtes des philologues de l’entre-deux-guerres Jecker et Keller rassemblées par Robert Jolidon dans le « carton A ». Ces phrases-types, transcrites en patois de différents villages, restent encore abordables pour un public d’initiés.
Dans le « carton Poèmes », dans le « carton M et dans le « carton Textes », on trouve des textes de chansons, de contes ainsi que des récits divers souvent transcrits en écriture ordinaire.
Le « carton Poèmes » présente différentes versions patoises de la « parabole de l’enfant prodigue »
Les amateurs de patois montbéliardais, proche de celui de Porrentruy, liront avec plaisir les articles de « Tante Madeleine » collectés dans le « carton B ».
c) Patoisants de bon niveau, désireux de connaître des termes ou/et des expressions introuvables ou presque dans les glossaires imprimés
Les glossaires partiels en patois de Saint-Brais relevés par Jolidon dans le « carton A », le « carton C » et le « carton Musique et chants », en écriture phonétique, permettent aux patoisants d’élargir notablement leurs connaissances linguistiques.
Il en va de même pour les lexiques du « carton B », complétés par les études comparatives de Jecker, et pour ceux du « carton Musique et chants ».
Dans les cartons « N » et « O », on peut se référer avec profit aux glossaires patois-français et français-patois réalisés par Robert Jolidon. De nombreuses cartes linguistiques sont présentées dans le « carton O ».
Les « fôles » transcrites dans le « carton Matériaux » nécessitent de bonnes connaissances en patois. Elles sont souvent transcrites en écriture phonétique, avantage évident pour l’appropriation exacte du mot, mais handicap parfois insurmontable pour les personnes rebutées par ce type d’écriture.
Dans le « carton Musique et chants », le glossaire patois-français de Surdez sur la faune, la flore, les champignons, les phénomènes naturels, etc., en écriture ordinaire, est absolument sans équivalent dans la littérature disponible, imprimée ou manuscrite.
Cette remarque vaut également pour bien des termes usités dans un monde rural disparu, expliqués par Jolidon dans le « carton C ».
Dans les cartons « Poèmes » et « Textes », le lecteur prendra connaissance de nombreux contes, poèmes, etc. Il y lira également la « parabole de l’enfant prodigue » déclinée dans plusieurs versions locales.
Le « carton Textes » présente une pièce de théâtre, « Quand le nid est brisé », annotée par Robert Jolidon.
d) Philologues intéressés par la thèse de Robert Jolidon.
Dans les cartons « Matériaux », « C » et « N », on peut lire des chapitres entiers de la thèse de Robert Jolidon, notamment ceux consacrés aux aspects morphologiques et grammaticaux du patois de Saint-Brais. La liste très intéressante des correspondants publiée dans la liasse « carton Matériaux » authentifie la sûreté des sources. Les questionnaires adressés à ces patoisants présentent un intérêt évident. Les cartes linguistiques figurant dans le « carton Matériaux » et le « carton O » renseignent sur la diversité des parlers jurassiens et les nuances décelables parfois d’un petit coin de terre à un autre.
La « table des matières » de la thèse de Jolidon publiée dans le « carton Musique et chants » nous laisse entrevoir l’ampleur des études menées par ce chercheur. Cette remarque vaut également pour les textes des questionnaires adressés aux correspondants du doctorant « zurichois ».
Dans les cartons « C », « O » et « Musique et chants », le questionnaire en français adressé à des correspondants patoisants et leurs réponses manuscrites est aussi instructif qu’émouvant. Il renseigne sur les points forts de la « méthode Jolidon » mais probablement aussi sur les limites de cette démarche.
Dans le « carton N », l’érudit jurassien a reproduit des tableaux réalisés par un philologue germanophone sur les patois de Lamboing, Court, Crémines, Champoz et sur celui des Pommerats.
On peut lire les différentes versions de la parabole de « L’enfant prodigue » en patois jurassien collectées sous le Premier Empire dans le « carton Poèmes ». On y trouve également une ébauche de glossaire comparé des patois romands et une étude comparative, ébauchée elle aussi, de l’idiome « romano-barbare » (patois), œuvre de Daniel Schoepflin, de Colmar.
Ce « carton Poèmes » présente encore un texte de 1851 adressé à Xavier Kohler avec de longs vers en patois montbéliardais.
Dans le « carton Textes », on peut prendre connaissance de différentes versions de la « parabole de l’enfant prodigue » parfois dans des versions non encore entièrement notées en écriture phonétique, une singularité technique qui peut intéresser les lexicologues.
e) Historiens désireux d’accéder à des textes qui reflètent une époque, un milieu, une mentalité, etc.
Le « carton Matériaux thèse Jolidon » nous livre des textes intéressants sur les devinettes, les superstitions, les proverbes, les croyances, etc. transcrits en écriture phonétique.
La même remarque vaut également pour le « carton Musique et chants ».
On peut également lire de nombreux contes et textes de chansons diverses, de vieux Noëls, de « Bon-An », de remerciements, de complaintes, de parodies, de « fôles » de Jules Surdez, etc. dans les cartons « N » et « M ».
Dans le « carton Poèmes », le lecteur appréciera les 330 vers galants en patois bruntrutain du XVIIIe siècle, ainsi qu’un poème « de Scheppelin » ( ?) du XIXe siècle. Il y trouvera également le texte d’une prière en patois. Le lecteur abordera succinctement les recherches historico-linguistiques sur la région du Lomont français menées en 1840 par un historien comtois, l’abbé Richard, et sur le folklore des Vosges vers 1850.
Dans le « carton M », on trouvera un poème d’amour de la fin de l’Ancien Régime, dans un patois distinct mais proche de celui de l’Ajoie. Dans cette même liasse, une « prière patoise » et le texte du cri des heures du veilleur de nuit (de Porrentruy ?) du XIXe siècle ne manqueront pas d’intéresser les ethnologues. Cette remarque vaut aussi pour l’article de Jules Surdez sur les anciennes maisons franc-montagnardes. Ce carton présente encore des parodies de vêpres en patois qui renvoient au caractère « gaulois » de l’esprit jurassien. On y lira aussi un poème de Camille Courbat de 1931 brocardant le progrès.
Le « carton Surdez » contient des textes imprimés, généralement en français, qui fournissent de nombreux renseignements sur les métiers et les us et coutumes des Franches-Montagnes et du Jura en général au XIXe siècle.
Dans le « carton Textes », les folkloristes consulteront avec intérêt plusieurs descriptions des coutumes du Val Terbi.
f) Varia et politica
Le « carton Poèmes » contient une copie manuscrite dressée par Robert Jolidon des « Statuts » de la communauté de Saint-Brais en 1688. L’historien découvrira avec bonheur une chanson « povriotique » en patois de Louis-Valentin Cuenin ainsi qu’un poème, en patois bien sûr, de Joseph Stockmar. Un « Bon-An » de 1874 et un poème intitulé « Aidjolats de 1878 », qui traitent tous les deux du Kulturkampf, renseignent sur la satire féroce dont raffolent les Jurassiens de cette époque.
Dans le « carton Textes », les considérations prudhommesques du mémorialiste François-Joseph Guélat sur le destin de l’ancien Evêché entre 1792 et 1825 peuvent intéresser les chercheurs.
Les spécialistes d’histoire religieuse liront avec intérêt un sermon de Robert Jolidon en 1949 dans le « carton C ». Cette liasse présente également le texte et le schéma d’un « secret » pour guérir des brûlures.
Le « carton M » contient un récit mettant en scène deux paysans favorables à l’empereur Napoléon après 1804. Il reproduit encore une satire égrillarde du radical Joseph Stockmar contre le conservateur Casimir Folletête à l’époque du Kulturkampf. On peut également y lire le texte du discours en patois tenu par un haut fonctionnaire, Eugène Péquignot, au Marché-Concours de Saignelégier.
{Jean-Paul Prongué, avril 2014}