Par : Fleury LJ
Publié : 19 décembre 2012

Conte de Noël

Raiconte de Nâ

Eric Matthey

Raiconte de Nâ

Çoli fait dj’ bïn grant qu’ le Gustave Montandon d’ Lai Combe d’ lai Raiceinne ât mâ dains sai pée, poch’que çoli fait encoé bïn pus grant qu’és ne s’ djâsant pus d’aivô l’Alcide Huguenin des Cottards. Tot çoli è câse d’ ènne croûeye hichtoire qu’ sât péssé di temps des péres d’ yos grants-péres. È s’était raicontè poi Lai Brévine que ctu-ci aivait vendu è ctu-li ènne dg’neusse que, aiprès aivoi vélè, n’ béyait di laicé qu’ d’aivô trâs tçhitches. Dâli le riere-papon d’ l’Alcide était chur qu’ le riere-papon di Gustave aivait tchri è l’ rôlaie. Ç’ât dâs ci temps-li qu’ les Huguenin des Cottards étïnt d’moérè en brouye d’aivô les Montandon d’ Lai Combe d’ lai Raicènne. Vôs voites que çoli n’ dâte pe d’ hyie  ! Âchi ci poûere Gustave, qu’ n’en aivait ran è fotre d’ ces véyes brïndyes, airait bïn v’lu qu’ çoli se r’boteuche daidroit entre les doues rottes pe qu’ès n’euchïnt pus lai vie empoûej’nè poi de tâs bétijes. Mains voili, che lu était prât è rébiaie c’ t’ hichtoire, è n’en allait p’ de meinme d’ l’ Alcide qu’ yi virait l’ dôs tçhétçhe côp qu’é s’ v’lait aippretchie d’ lu po rontre lai yaice. Tiaind qu’ en lai frutiere ci Gustave aittaitchait son tchvâ â long di sïn, l’ Alcide, aiprès aivoi voichè son laicé, s’airrandgeait de r’paitchi tot comptant sains l’ravoétie, en chaquaint bïn foûe. Mains è fât dire qu’ ç’ât r’coégnu dains l’vâ d’ Lai Brévine, qu’ pairmé lai rotte des Huguenin des Cottards, è y’ é des sâcré tétes de boc. Mains âchi, qu’ ch’les Huguenin aint des dieutes tétes, les Montanton, yos, aint d’lai cheûte dains les aivisâles. L’temps d’ Nâ airrivaint è grosses péssèes, l’ Gustave s’ dié qu’ è ne v’lait p’ que c’te bélle féte s’ pésseuche sains qu’les doues rottes feuchïnt r’chitçhè ensoinne. Dâli, l’soi d’lai voiye de Nâ, tot comptant aiprès aivoi governè ses roudges-bétes, pe en musaint és p’téts l’afaints des Huguenin, è bote dains ïn sait des nouches, des neûjèyes, des catch’rats d’ pammes, quéques oraindges pe di chocolat. Encheûte è s’vêt en sïnt Nicolas, aippiaiye lai dj’ment è pe « hiu Coquette  », le trïnneau traice chu l’ ennoidgèe vie d’lai sen d’lai fèrme des Cottards. Ç’ât dïnche gâpè qu’è traivoiche le v’laidge. Nôs sons en Lai Brévine, è fait brâment froid  ! È n’y é niun chu les tchmïns ! Drie les f’nétres des mâjons on voit des p’tétes lumieres. Les dgens sont bïn â tchâd atoué di saipïn d’Nâ. Ïn pô pus laivi, è londge les fèrmes des Varodes laivous’qu’ tot ât pyain aichebïn. Dains lai campaigne an n’ ôt qu’lai coulètche di tchvâ. Le cie à tot détieûvi, les yeutchïns raimoyant pe lai yune se mire chu lai yaice di lai des Taillères qu’ât édgealè. Les fiattes r’tieuvies d’noidge r’sannant en d’ grants pèrsonnaidges. An s’crairait dains ènne raiconte … de Nâ  ! Aiprès étre montè ïn gros crât chu l’envie di vâ, d’vés d’tchus di lai, nôt’ Gustave airrive vés Les Cottards. È trévoit â laivi lai fèrme des Huguenin tote peurdju â moitan des ennoidgès tchaimpois. Ènne p’téte f’nétre ât éçhiairi, ç’ât craibïn cté di poiye. Mains voili qu’ tot d’ïn côp lai pavou prend nôt’ hanne és tripes  ! « Ch’ l’ Alcide me r’boussait   » qu’è s’ dit  ! « I n’le sairôs chuppoétchaie  ». Mains mitnaint èl ât li, és Cottards, è n’peut pu r’tiulaie. Les dgens d’lai fèrme aint po chur dj’ oyi les griy’nats d’lai Coquette dains lai neût  ; è fât allaie djunqu’ â bout. Allans  ! Encoé cïnquante métres, vinte métres, dieche métres, pe tot d’ïn côp … pus d’métre  ! Èl airrâte son aipyaiyaidge d’vaint lai poûetche di d’vaint-l’heûs, è déchend d’son trïnneau pe, l’tiûre tot grulaint, son sai chu l’dôs, è bousse tot balement ènne permiere poûetche. È fait doues tras péssèes dains l’noi âllou laivous qu’è se r’ trove. Tot dïn côp ènne laintierne éçhiaire son visaidge pe lai foûetche voix d’ l’ Alcide breûye d’lai sen d’lai poûetche d’ lai tieûjainne  : « Mairie  ! Vais tchrie le tchaimbon pe ènne boénne botoiye en lai tiaive, y’è l’ sïnt Nicolas d’ Lai Combe qu’è trovè le tchmïn des Cottards   ». Les Foulets le 17 de nôvembre 2006 Eric Matthey

Conte de Noël

Ça fait déjà bien longtemps que le Gustave Montandon de la Combe de la Racine est mal dans sa peau, parce que ça fait encore plus longtemps qu’ils ne se parlent plus avec l’Alcide Huguenin des Cottards. Tout ça à cause d’une sale affaire qui s’est passée du temps des pères de leurs grands-pères. Il s’était raconté par La Brévine que celui-ci avait vendu à celui-là une génisse qui, après avoir vêlé, ne donnait du lait que par trois pis. Alors, l’arrière grand-père de l’Alcide était sûr que l’arrière grand-père du Gustave avait cherché à le rouler. C’est de ce temps-là que les Huguenin des Cottards étaient restés brouillés avec les Montandon de la Combe de la Racine. Vous voyez que ça ne date pas d’hier  ! Aussi ce pauvre Gustave, qui n’en avait rien à faire de ces vieilles bringues, aurait bien voulu que ça se remette entre les deux familles et qu’il n’ait plus la vie empoisonnée par de telles futilités. Mais voilà, si lui était prêt à oublier cette histoire, il n’en allait pas de même de l’Alcide qui lui tournait le dos chaque fois qu’il voulait s’approcher de lui pour rompre la glace. Lorsqu’à la fruitière le Gustave attachait son cheval à côté du sien, l’Alcide, après avoir coulé son lait, s’arrangeait pour repartir aussitôt sans le regarder, en claquant bien fort du fouet. Mais il faut dire qu’il est reconnu dans la vallée de La Brévine, que parmi la famille des Huguenin des Cottards, il y a des sacrées têtes de boc. Mais aussi, que si les Huguenin ont des têtes dures, les Montandon, eux, ont de la suite dans les idées. Le temps de Noël arrivant à grand pas, le Gustave se dit qu’il ne voulait pas que cette belle fête se passe sans que les deux familles soient réconciliées. Alors, le soir de la veille de Noël, tout de suite après avoir gouverné son bétail et en pensant aux petits enfants des Huguenin, il met dans un sac des noix, des noisettes, des schnetzes*, quelques oranges et du chocolat. Ensuite il s’habille en saint Nicolas, attelle la jument et « hue Coquette  », la glisse* file sur la route enneigée vers la ferme des Cottards. C’est ainsi équipé qu’il traverse le village. Nous sommes à La Brévine, il fait très froid  ! Il n’y a personne sur les chemins  ! Derrière les fenêtres des maisons on voit des petites lumières. Les gens sont bien au chaud autour du sapin de Noël. Un peu plus loin, il longe les fermes des Varodes où tout est calme également. Dans la campagne on n’entend que la grelottière du cheval. Le ciel est tout découvert, les étoiles scintillent et la lune se mire sur la glace du lac des Taillères gelé. Les épicéas recouverts de neige ressemblent à de grands personnages. On se croirait dans un conte … de Noël  ! Après avoir gravi un grand crêt sur l’envers de la vallée, au-dessus du lac, notre Gustave arrive vers Les Cottards. Il aperçoit au loin la ferme des Huguenin perdue au milieu des pâturages enneigés. Une petite fenêtre est éclairée, c’est peut-être celle de la chambre du poêle. Mais voilà que tout à coup la peur prend notre homme aux tripes  ! « Si l’Alcide me repoussait  » se dit-il  ! « Je ne pourrais pas le supporter  ». Mais maintenant il est là, aux Cottards, il ne peut plus reculer. Les gens de la ferme on sûrement déjà entendu les grelots de la Coquette dans la nuit  ; il faut aller jusqu’au bout. Allons  ! encore cinquante mètres, vingt mètres, dix mètres, puis tout à coup … plus de mètres  ! Il arrête son attelage à la porte du devant-huis, il descend de sa glisse et, le cœur battant, son sac sur le dos, il pousse tout doucement une première porte. Il fait deux trois pas dans le noir couloir où il se trouve. Tout à coup une lanterne éclaire son visage et la forte voix de l’Alcide braille du côté de la porte de la cuisine  : « Marie  ! Va chercher le jambon et une bonne bouteille à la cave, il y a le saint Nicolas de la Combe qui a trouvé le chemin des Cottards   ». *schnetzes = quartiers de pommes séchés *glisse = traîneau