Publié : 15 novembre 2023

Pays d’enfance

Paiyis d’afaince

Bernard Chapuis

Publié dans le Quotidien Jurassien le 14 avril 2023

Paiyis d’afaince

- Èl ât airrivè ! crié quéqu’un dains lai coué. - Eustache, ton frère Hippolyte vïnt d’airrivaie ! breûyé, Rosa, lai mére, en rôtaint son d’vaintrie. Èt peus moi qu’i n’ seus p’ prâte. Tote lai rote qu’aittendait l’onçha Hippolyte dâ ènne hoûere, s’ât yaincie és f’nétres. Èl airrivait dains sai dyïmbarde, ènne Peugeot 1938. Hippolyte f’sait la fiertè d’lai faimille. En premie poéche qu’è d’moérait è Bâle, encheute poéche que lu, ïn afaint d’ lai tiere, traivaiyait dains les aiffféres èt qu’èl aivait les mains nattes, enfïn èt chutot poéche qu’èl aivait ènne dyïmbarde. Ès étïnt rais en ç’ temps-li, cés qu’aivïnt ènne dyïmbarde. Â v’laidge, è y aivait l’tiurie èt ïn viadgeou d’ commèrce qu’ottyupait ènne grante mâjon d’ maître, le tchété qu’an dyait. L’onçha Hippolyte ainmait bïn lai Rosa, èt peus lai Rosa ainmait bïn son bâ-frére. Ès étïnt d’ lai meinme annèe. Hippolyte n’aivait p’ renayie ses origines. D’aivô les poirents, è djâsait patois. È s’ pyaijait è aidieuç’naie les afaints. È péssait lai main dains lai tchoupe di chiani en dyaint d’ïn air graingne : « Ç’ât toi qu’és défarrè mes oûyes ? » Le chiani le révoétait sains compâre. An n’ bote pe des fies és oûyes. Di temps qu’ les aidyultes dichcutïnt dains le poiye, les afaints djouïnt dans lai riujainne dyïmbarde. Ès toutchïnt tos les botons en f’saint l’ brut di moteur - broum broum ! - èt ès imaidginïnt des grants voyaidges ch’ les vies caiyeûtèes. Notes aidieuç’naie, taquiner dains lai tchoupe di chiani, dans la tignasse du plus petit lai riujainne,dyïmbarde, la rutilante voiture. ---- Ecouter la chronique lue par Bernard Chapuis

Pays d’enfance

- Il est arrivé ! cria quelqu’un dans la cour. - Eustache, ton frère Hippolyte vient d’arriver ! hurla Rosa, la mère, en se débarrassant de son tablier. Et moi qui ne suis pas prête. Toute la bande, qui attendait l’oncle Hippolyte depuis une heure, s’est précipitée fenêtres. Il arrivait dans son automobile, une Peugeot 1938. Hippolyte faisait la fierté de la famille. En premier parce qu’il habitait à Bâle, ensuite parce que lui, un enfant de la campagne, travaillait dans les affaires et qu’il avait les mains propres, enfin et surtout parce qu’il possédait une automobile. Ils étaient rares, en ce temps-là, ceux qui possédaient une automobile. Au village, il y avait le curé et un représentant commercial qui occupait une vaste maison de maître qu’on appelait le château. L’oncle Hippolyte aimait bien Rosa et Rosa aimait bien son beau-frère. Ils étaient contemporains. Hippolyte n’avait pas renié ses origines. Avec les parents, il parlait patois. Il adorait les enfants. Il passait la main dans la tignasse du plus petit en disant d’un air courroucé : « C’est toi qui as déferré mes oies ? » Le bambin le regardait sans comprendre. On ne met pas de fers aux oies. Pendant que les adultes discutaient au salon, les enfants jouaient dans la rutilante voiture. Ils touchaient tous les boutons en imitant le bruit du moteur - broum broum ! - et ils imaginaient de grands voyages sur les routes empierrées. { {{Les chroniques patoises de Bernard Chapuis en 2022- 23}} } {{ {Toutes les chroniques patoises de Bernard Chapuis} }}