Publié dans le Quotidien Jurassien le 8 janvier 2021
Les tchâsses
Di djoué qu’èls aint r’botè yote bïn en yote grôs, l’Eustache èt lai Mélie ne se r’fujant ran. En ènne annèe, ès se sont euffri pus qu’en tote yote vétyaince. L’huvie, ès rittant des lotos és lôvrèes de câtches. An les voit rentraie en l’hôtâ d’aivô ïn p’nie gairni o bïn ïn tchaimbon. Dâ l’ paitchi feu, ès s’inchcrivant po yun o l’âtre d’ ces viaidges en car.
- Vôs èz bïn réjon d’ profitaie, yôs dit l’ grôs. Vôs èz t’aivu prou d’ mâ.
Ïn soi, lai Mélie dit en çt’ Eustache :
- Te sais ç’ que me f’rait piaji
? Te t’ sovins di p’tèt l’hôtel laivou qu’ nôs ains péssè not’ neût d’ nace.
- Si m’en sovïns... Ç’ât c’ment se c’était hyie.
Le véye revoit dains sai téte lai mâjon â bord di lac, le liere chu lai talvanne, lai tèrrasse laivou qu’èls aint moirandè, lai tchaimbre…
- I voérrôs bïn y r’touénaie, dit lai fanne.
- Yè, poquoi nian, dit l’hanne.
Èls y sont r’touénès. An yôs é bèyi le meinme num’ro de tchaimbre. Lai Mélie musait dans l’ doubye yét «
Çoli é bïn tchaindgie, te n’ troves pe, Eustache
?
»
- Po chûr, Mélie.
- Ci en d’vaint, è y aivait ènne taipiss’rie d’aivô des çhoés.
- Ô. Mit’naint, ç’ât ïn murat tot bianc.
- È y aivait âchi ïn foénat, ènne caisse è bôs.
- Èls aint botè des raidiateurs, ç’ât pus commôde.
- È y é encoé âtçhe qu’é tchaindgie, Eustache.
- Quoi donc, Mélie
?
- Toi. Raippele-te
! Çte neût-li, te n’ m’és p’ léchie l’ temps d’ rôtaie mes tchâsses, èt peus ci soi, i airôs l’temps d’ m’en tricotaie trâs paires.
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Ecouter la chronique lue par Bernard Chapuis
Les bas
Du moment où ils ont remis le bien à leur fils aîné, Eustache et Amélie ne se sont rien refusé. En une année, ils se sont offert davantage que durant toute leur vie commune. L’hiver, ils courent de loto en soirée de jass. On les voit rentrer chez eux les bras chargés d’un panier garni ou d’un jambon. Dès le retour des beaux jours, ils s’inscrivent pour un ou l’autre de ces voyages en car proposés par les agences.
- Vous avez bien raison de profiter, leur disait le fils. Vous avez eu assez de mal.
Un soir, Amélie dit à Eustache :
- Tu sais ce qui me ferait plaisir
? Tu te souviens du petit hôtel où nous avons passé notre nuit de noce.
- Si je m’en souviens... C’est comme si c’était hier.
Le vieux revoit l’image de la maison au bord du lac, le lierre contre la façade, la terrasse où ils ont soupé, la chambre...
- Je voudrais bien y retourner, dit la femme.
- Pourquoi pas, dit l’homme.
Ils y sont retournés. Ils eurent le même numéro de chambre. Amélie rêvait dans le lit matrimonial. «
Ça a bien changé, tu ne trouves pas, Eustache
?
»
- Pour sûr, Amélie.
- Avant, il y avait une tapisserie à fleurs.
- Oui. Maintenant, c’est un mur tout blanc.
- Il y avait aussi un poêle, une caisse à bois.
- Ils ont mis des radiateurs, c’est plus commode.
- Il y a encore autre chose qui a changé, Eustache.
- Quoi donc, Amélie
?
- Toi. Rappelle-toi
! Cette nuit-là, tu ne m’ m’as pas laissé le temps d’enlever mes bas, et ce soir, j’aurais le temps de m’en tricoter trois paires.