En patois des Franches-Montagnes, une histoire de la Babouératte, dite par l’auteure.
Bello, par la Baboueratte, 2009
- Bello, par la Baboueratte, 2009
Aidûe Bello.
Méneût aippretchie. Môssieu le tchurie s’aippontie po célébraie lai masse de lai neût de Nâ. Aivaint de tchittie lai tchure, è tchaimpé ïn eûye de lai san de son tchïn Bello.
Tchain que le Djoset d’Ensson-lai-Fïn y aivait baiyie, è y’aî tchaïnze ans, èl y aivait dit :
- Ç’ât ïn caignat, pe ç’ât dgentil çte sôtche-lì. Dïnche-lai, vos airèz quéqu’ün, y veut djâsaie, ène préseince en lai tchure.
Dâs ci djoué lì, le tchïn seuyait le tchurie cmen son ailombre. Que l’hanne de Dûe feuche aipplè vés ïn malaite. qu’è se pouérmenésse dains les bôs en lai tcheri de tchaimpaigneux, Bello faisait aidé paitchie de totes les tiries-feûs. Se le prétre était sietè en sai tâle de traivaiye qu’èl aipplait aivo ène ponte d’ordgeou «
son bureau
», po aippontie son prâtche di duemoûene, Bello demouérait saidgement coutchie è ses pies. De boussiattes en boussiattes le tchurie y yésait ïn péssaidge di prâtche, cmen se le tchïn poyait yos baiyie son aivâ.
-Véye fô qui seus
! diyait’é tôt hât, ç’ât chûr que te ne comprend ren
; mains y me demainde se mes oûaiyes, que dremant bïn svent di temps de mon prâtche le compreniant meux que toi…
Tchain qu’on ïnvitait le tchurie po nônnaie, è y aivait aidé dos lai tâle ïn crebion aippontie po le tchïn. Dains ses djûenes an-nèes, Bello ritait aivô les afaints, les atres tchïns. Mains ço qu’èl ainmait le pus, c’était de traquaie les tchaits feûs di tchetchi de lai tchure. Môssieu le tchurie n’aivait qu’è tchaimpaie ïn «
tchaisse Bello
!
» le tchïn paichait ta ène éluze. Aivô les ans, le tchurie cmen le tchïn éprovaie des roidoux. Môssieu le tchurie pailait de ses rhomâtisses
; sains rébyaie, aivô ïn côp d’eûye vés son tchïn, d’aidjoutaie que ce derrie n’allait pon meux que lu. Vos èz compris
; ès ne se tchittaïnt pus, tôt cmen di temps de lai masse pe proiyires à môtie. Bello s’embruait à môtie aivô son méetre en quéque houre que se feuche. È se coutchie à pîe de l’âtèe pe ne boudgie pép’ène aroiye.
Le djoué de lai Confirmation, Monseigneû l’Evêque n’aivai pon fait de remairques, èl aivait péssè devaint le tchïn aivô ïn sôrire. Le tchïn s’était raiméssè en bôle, se demaindaint poquoi ïn hanne de Dûe aivait fâte d’ïn chtécre pe d’ïn tchaipé pontu po dire lai masse. Son tchurie en lu n’aivait pon fâte de tôt ci barda po proiyie. Ci djoué lì, son méetre n’aivai pon aivu le temps di tchaimpaie le rgaid de teindrasse âqué èl était aivésie. Le tchïn chmequaie bïn qu’ïn tchurie de velle, mainme se èl ât bïn vétie po proiyie, ne sairais étre sïmpye aivô les dgens cmen son tchurie en lu
!
Les onzes-è-demé gréynant à cyeutchie, Môssieu le tchurie décreutche son mainté, tchaimpe ïn eûye à Bello que ne s’ât pon yeuvè de lai djouénèe. Aivô tot pyein d’effôes è se bote su ses paittes, le rgaid virie vés le doux visaidge di prétre, è sembye yos dire : «
Ne me lésse pon...pon mitnaint
». Po ne pon faire de poûene en son aimi, Môssieu le tchurie bote ène main su sai haintche, pe tot bâlement, le tchïn su ses talons, ès preniant le tchmïn di môtie. En montaint lai née, le tchure di prétre s’étroince.
Mon Dûe...Mon Dûe, se diét’é, ès se fint pus raîe de duemoûene en duemoûene. Révisaint les baincs quâsi veud. Dains le vlaidge é n’y aî bïntôt pus que des véyes. Les djûenes paichant en velle po traivaiyie, les véyes meurant sains étre rempiaicie. Dâs quairante ans qu’èl ât lì, que de tchaindgements
!
Dâs lai tchaimbratte de môtie voùé le prétre s’aipponte po officie, è révise vés l’âtèe. Bello ât cmen è son aivésie coutchie en sai pyaice dôs lai sen de l’âtèe. Lai masse ècmencie, le tchurie ne sairôs s’envoidgeaie de tchaimpaie de boussiatte en boussiatte ïn rgaid de lai sen de Bello. Â prie de gros effôts è cheût l’oûedre des proiyires. Les eûyes di prétre croujant ceuze di tchïn que petét è petét se cyosant.
Aiprés l’élévâtion, ïn côp de pus môssieu le tchurie vire son rgaid vés son aimi. Ç’ât en ci moment lì que Bello tot bâlement cyosé les eûyes… Sai tête tchoiyé su lai sen pe è s’aillondgé dôs l’âtèe. Le moment était vni de se tchittie po lai vie. Le tchure poisaint, le prétre aidjouté humbyement ène proiyire â bon Dûe, qu’È prenyésse tchesin de son aimi d’jünque à djoué voùé El airait convni de le tcheri lu aito.
Les oûaiyes di tchurie n’ins ren vu. È pe, mainme se èlles aivaïnt saivu, tot chûr que nyün n’airait fait de sibias.
{Lai Babouératte.}
Adieu Bello.
Minuit approchait. Monsieur le curé se préparait pour célébrer la messe de la nuit de Noël. Avant de quitter la cure, il jeta un oeil du côté de son chien Bello.
Lorsque le Joseph d’En-Haut-la-Fin le lui avait donné, il y à quinze ans, il lui avait dit :
-C’est un bâtard, et c’est gentil cette sorte-là, ainsi vous aurez quelqu’un, enfin je veux dire, une présence à la cure.
Dès ce jour-là, le chien suivait le curé comme son ombre. Que l’homme de Dieu fut appelé auprès d’un malade, qu’il se promenât dans les forêts à la recherche de champignons, Bello faisait toujours partie de toutes les sorties. Si le prêtre était assis à sa table de travail, qu’il appelait avec une pointe d’orgueil «
son bureau
», pour préparer son sermon du dimanche, Bello demeurait sagement couché à ses pieds. De temps en temps, le curé lui lisait un passage du sermon, comme si le chien pouvait lui donner son approbation
!
-Vieux fou que je suis
! disait-il tout haut, c’est certain que tu ne comprends rien
; mais je me demande si mes ouailles qui dorment bien souvent pendant mon sermon, le comprennent mieux que toi...
Lorsque le curé était invité à dîner, il y avait toujours sous la table un récipient préparé pour le chien. Dans ses jeunes années, Bello courait avec les enfants, les autres chiens. Mais ce qu’il aimait particulièrement, c’était traquer les chats dans le jardin de la cure. Monsieur le curé n’avait qu’à jeter un «
chasse Bello
!
» et le chien filait comme un éclair.
Avec les années, le curé comme le chien ressentaient des raideurs. Monsieur le curé parlait de ses rhumatismes
; sans oublier avec un coup d’oeil vers son chien, d’ajouter que ce dernier n’allait pas mieux que lui. Vous avez compris
; ils ne se quittaient plus, même pendant la messe et les prières à 1’église. Bello se faufilait à l’église avec son maître à n’importe qu’elle heure. Il se couchait au pied de l’autel, et ne bougeait même pas une oreille.
Le jour de la Confirmation, Monseigneur l’Evêque n’avait pas fait de remarque. Il était passé devant le chien avec un sourire. Le chien s’était ramassé en boule, se demandant pourquoi un homme de Dieu avait besoin d’un bâton, et d’un chapeau pointu pour dire la messe
! Son Curé à lui n’avait pas besoin de tout cet attirail pour prier. Ce jour-là, son maître n’avait pas eu le temps de lui jeter le regard de tendresse auquel il était habitué. Le chien sentait bien qu’un curé de ville, même si il est bien vêtu pour prier, ne saurait être simple avec les gens comme son curé à lui
!
Onze heures et demie sonnent au clocher. Monsieur le curé décroche son manteau, jette un oeil à Bello qui ne s’est pas levé de la journée. Avec énormément d’efforts, il se met sur ses pattes, le regard tourné vers le doux visage du prêtre. Il semble lui dire : «
Ne me laisse pas...pas maintenant
». Pour ne pas faire de peine à son ami, Monsieur le curé met une main sur sa hanche, et lentement, le chien sur ses talons, ils prennent le chemin de l’église. En montant la nef, le coeur du Prêtre s’étreint.
-Mon Dieu...Mon Dieu, se dit-il, ils se font plus rares de dimanche en dimanche, regardant les bancs presque vides. Dans le village, il n’y à bientôt plus que des vieux. Les jeunes partent en ville pour travailler, les vieux meurent sans être remplacés. Depuis quarante ans qu’il est là, que de changements
!
De la sacristie où le Prêtre se prépare pour officier, il regarde vers 1’autel. Bello est, comme à son habitude, couché à sa place sur le côté de l’autel. La messe commencée, le curé ne saurait s’empêcher de jeter de temps à autre, un regard du côté de Bello. Au prix de grands efforts il suit l’ordre des prières. Les yeux du Prêtre croisent ceux du chien qui, petit à petit, se ferment.
Après l’élévation, une fois de plus Monsieur le curé tourne son regard vers son ami. C’est à ce moment-là que Bello, tout doucement ferma les yeux… Sa tête tomba sur le côté et il s’allongea sous l’autel. Le moment était venu de se quitter pour la vie. Le cœur lourd, le Prêtre ajouta humblement une prière à Dieu, qu’Il prenne soin de son ami jusqu’au jour où Il aura décidé de venir le chercher lui aussi.
Les ouailles du curé n’ont rien vu. Et puis, même si elles avaient su, certainement que personne n’aurait fait de cancans.
La Coccinelle.