Publié : 28 décembre 2023

La rosière

Lai Rosiere

Bernard Chapuis

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Lai rosiere

Dains l’ temps, dains not’ bairoitche, an nanmait ènne rosiere. C’était ènne djûene fèye gratifièe po sai voirtou, sai condute sains repreutche, sai pietè ét sai sïmpyicitè. C’était bïn s’vent ènne djûene fèye poûere, hannète èt coéraidgeouse. L’usaidge eurmontait, è ç’ qu’an dyait, è sïnt Médard, çtu que fait lai pyeudge èt l’ bé temps. Èlle se praititçhait dans tote lai chrétyïntè. Â couè d’ènne pompouje féte â môtie, lai djûene fèye tchoijie eur’cevait ènne coranne de biantches roses, seingne de lai pur’tè èt imaidge de lai fanne. Bïn chûr, èlle était chupposèe étre vierdge. Èlle voidgeait son titre tote l’annèe. En pus de lai coranne, è y aivait d’aivéje ïn prix en airdgent, dés côps ïn yivrat d’épairgne. Vétie d’ènne reube de fête, èlle était lai reinne di djoué, promije en ïn bé mairiaidge o crais bïn â covent. Nian sains ïn pô d’ mailice, an mairmoinnait : " Se les rosieres aint touedge lai sïnte voirtou, èlles aint des côps - las moi - lai biâtè du diaîle. » Les dotes ritïnt ch’ le tchoix d’ lai rosiere de l’annèe. Peute, èlle n’aivait âtiun mérite è praititçhaie lai voirtou. Djolie, èlle poéyait fort bïn aivoi predju sai vierdginitè sains que niun n’en seuche ran.  C’ment èt poi tiu lai rosiere était tchoijie ? Chûr’ment poi ènne rotte d’impoétchainnes dgens que cheuyïnt aidé l’aivéje di tiurie, lu que tenyait ses renseingn’ments de baidgèlles bédyinnes que n’airïnt p’ mainquè lai mâsse du matïn lai s’naine, lai grant-mâsse le dûemoène, l’office des vépres ne le salut di Sïnt Saicrement. Lai Rosalie était coudri en l’hôtâ. Ènne saqueurdie de bèlle djûene fanne de dieche-heute ans. Èt, cment dains la tchainson, èlle fait des tyulattes, des djupes èt des goénés èt des cotch’lats d’ fyanèye. Mains èlle raivaude âchi, raic’mode, taicoène, airraindge, poéch’ qu’an ât ménaidgeou, qu’an ne tchaimpe ran, que les vétures sont tchies èt qu’è siéd d’ les faire dyurie. Des tchemijes de grant-mére, èlle tyire des bavattes èt des pannous po laivaie les aigements. Èlle é des doigts de daimatte, ïn tyure d’oûe. Lai moiyoûe pochtulainne po l’ titre de rosiere. Dévote, âchi. C’ment ces fannes en noi, èlle vait en lai mâsse du matïn lai s’naine, en lai grant-mâsse le dûemoène, és vépres èt â salut di Sïnt Saicrement, Èlle vait è confèsse tos les premies vardis de tchéque mois. An lai voit soûetchi de lai boéte és mentes les euyes béchis. Ïn modèle, ïn exempye. Le brut rite qu’èlle s’ré tchoijie c’ment lai rosiere è v’ni. Ïn titre enviè qu’èlle fait tot pour méritaie. Aivaint lai féte di sïnt paitron, ç’ât lai grante bue. Rétiuraidge di môtie, âquél Rosalie pairtichipe, bïn chûr, èt lai grante confèsse. Tot l’ monde y pésse, meinme le mairtchâ, ci sains-Dûe, meinme le régent, ci franc-maiçon. Piondgie dains ses prayieres, Rosalie aittend è dgenonnyes â premie bainc. Lai pyaice yibre, èlle se yeuve. An l’ont rébyè â djouè d’adj’d’heû, mains â temps péssè, dains les boétes és mentes, le prétre èt le fâtou étïnt dains des bolats sépairès et se djâsïnt è traivie ïn gréyaidge. Le prétre se siete â moitan, les fâtous s’adg’nonyant è drète èt è gâtche. Po aichurie le ch’crèt d’ lai confession, le prétre tyire ènne lâde contre le gréyaidge de çtu qu’aittend son toué. An peut, sans grant richque, grotait d’imaidgînaie. Les baidgèlles bédyinnes, coégnues po yote dichcrèchion ne s’en sont p’ privèes. Rosalie finit d’aivouaie ses fâtes. Le confessou muse qu’èlle é rébyè âtye. Èl ât de son daivoi d’ ïntrev’ni. - Ç’ât tot ? - Ô. - Mains, Rosalie, te m’ caitches âtye. An m’ont raippoétché que t’és répairè lai tyulatte de çt’Alcide.  - Èt peus, ç’ât ïn airboé, çoli ? d’mainde l’ainonceinne coudri. - Bïn chûr, èt peus yun des pus grôs. Séjieme commaind’ment : Lai pur’tè t’observerés. Répairaie lai tyulatte d’ïn hanne, çoli peut te bèyie des croûyes musattes. Ç’ât c’ment po ïn boûebe de beûyaie ènne bûe de fanne suchpendue â s’raye. I t’aî prepojèe c’ment rosiere, ne l’ rébie pe. Lai cheinteince ne se fait p’ aittendre : « Rosalie, po ta péniteince, te m’aippoétcherés ïn potat d’ beurre. » Lai saidge Rosalie aippoétche en lai tiure ïn potat retyuvie d’ïn bé tichu. - Voili qu’ât défïnmeu, Rosalie, dit le tiurie, l’air bïn aîge. Çoli veut djûere. I veus poyéait te prepojaie cment rosiere. Li-d’chus, è soyeuve lai tieuvéche di potat. - Mains, qu’ât-ce que ç’ât qu’ çoli, Rosalie, le potat ât veud, è n’y é ran dains ton potat. Rosalie é âtaint de sné que de voirtou : - È n’y aivait ran non pus dains lai tyulatte. Bernard Chapuis

La rosière

Dans notre paroisse, autrefois, on élisait une rosière. C’était une jeune fille récompensée pour sa réputation vertueuse, sa conduite irréprochable, sa piété et sa modestie. Souvent une jeune fille nécessiteuse et méritante. La coutume remontait, paraît-il à saint Médard, celui qui fait la pluie et le beau temps. Elle se pratiquait dans toute la chrétienté. Au cours d’une cérémonie fastueuse à l’église, l’élue recevait une couronne de roses blanches, symbole de la pureté, attribut de la féminité. Naturellement, elle était censée être vierge. Elle conservait son titre toute l’année. A sa couronne symbolique s’ajoutait généralement un prix en espèces, une somme d’argent, parfois un livret de caisse d’épargne. Vêtue d’une robe de circonstance, elle était l’héroïne du jour, promise à un beau mariage ou peut-être au couvent. Non sans un brin d’ironie, on chuchotait : « Si les rosières ont toujours la sainte vertu, elles ont parfois, hélas, la beauté du diable. » Les doutes circulaient quant au choix. Laide, l’aspirante n’avait nul mérite à pratiquer la vertu. Jolie, elle pouvait très bien avoir perdu sa virginité sans que personne n’en sache rien. Comment et par qui la rosière était-elle choisie ? Sans doute par un jury de notables au sein duquel l’avis du curé était déterminant. Il tenait ses informations de pieuses commères, qui n’auraient pas manqué la première messe du matin en semaine, l’office dominical, les vêpres ni le salut. Rosalie est couturière à domicile. Un beau brin de fille de dix-huit ans. Et, comme dans la chanson, elle fait des pantalons, des jupes et des jupons et des gilets de flanelle, et des gilets de coton. Mais elle ravaude aussi, raccommode, taconne, transforme, parce qu’on est économe, qu’on ne jette rien, que les habits sont chers et qu’il faut les faire durer. Des chemises de grand-mère, elle tire des bavettes et des torchons à vaisselle. Elle a des doigts de fée, un cœur d’or. La candidate idéale pour le titre de rosière. Pieuse, aussi. Comme ces femmes en noir, elle assiste à la première messe du matin en semaine, à l’office dominical, aux vêpres et au salut. Elle se rend à confesse tous les premiers vendredis du mois. On la voit sortir du confessionnal les yeux baissés. Un modèle, un exemple. Le bruit court qu’elle sera désignée comme prochaine rosière. Un titre envié qu’elle fait tout pour mériter. Avant la fête patronale, c’est la grande lessive, au propre et au figuré. Récurage de l’église, auquel Rosalie participe, bien entendu, et confession générale. Tout le monde y passe, même le forgeron, ce mécréant, même le régent, ce franc-maçon. Abîmée dans ses prières, Rosalie attend à genoux au premier banc. La place se libère, elle se lève. On l’a peut-être oublié de nos jours, mais dans les confessionnaux traditionnels, le prêtre et le pénitent sont dans des compartiments séparés et se parlent à travers un grillage. Le prêtre s’assied au milieu, les pénitents s’agenouillent à droite et à gauche. Pour garantir le secret de la confession, le prêtre tire un volet contre la grille de celui qui attend son tour. On peut, sans grand risque, tenter une reconstitution. Les pieuses commères connues pour leur discrétion ne s’en sont pas privées. Rosalie achève l’aveu de ses péchés. Le confesseur croit déceler un oubli. Il est de son devoir d’intervenir : - C’est tout ? - Oui. - Mais, Rosalie, tu me caches quelque chose. On m’a dit que tu as réparé la culotte de l’Alcide.  - Et c’est un péché, ça ? demande l’innocente couturière. - Certes oui, et un des plus grands. Sixième commandement : La pureté tu observeras. Réparer la culotte d’un homme, ça peut te donner des idées. C’est comme pour un garçon, de regarder une lessive féminine suspendue. Je t’ai pressentie comme rosière, ne l’oublie pas. Le verdict ne se fait pas attendre : « Rosalie, pour ta pénitence, tu m’apporteras un petit pot de beurre. » Docile, Rosalie apporte à la cure un petit pot recouvert d’un beau tissu. - Bien, Rosalie, dit le curé, visiblement satisfait. Je pourrai certainement te proposer. Là-dessus, il soulève le couvercle de tissu. - Mais, voyons, Rosalie, le pot est vide, il n’y a rien dans ton pot. Rosalie est aussi sensée que vertueuse : - Il n’y avait rien non plus dans la culotte. Bernard Chapuis