Une visite en la maison des vieux
Ènne visite en lai mâjon d’véyes
Bernard Chapuis
Ènne visite en lai mâjon d’véyes
I seus t’aivu l’âtre djouè è Saint-Ochanne po voûere ces véyes. I y vais encoé bïn s’vent. I m’dis qu’è mon toué, i veus étre véye aiche bïn, èt peus qu’i s’rôs bïn content s’an vïnt m’voûere, chutot d’avô ènne boénne botaye.
È y aivait lai Mélie di Bout-d’là, vôs saîtes, çté qu’sai baichatte é mairiè le boûebe de ci Tchaîlat drie tchie l’Colas ... Nian ! Çté qu’son boûebe é mairiè lai baichatte de ci Colas drie tchie l’Tchaîlat ... Nian, nian ! Quât-ce qu’i baidgeule ? Çté qu’son hanne ... Vôs n’voites pe ? Ç’n’ât ran.
Si faît qu’è y aivait çte Mélie di Bout-d’là, qu’i aivôs bïn coégnu dains l’temps, qu’i yi poétchôs l’pain tos les djoués, èt peus qu’i d’moérôs vâ lé ïn bon quât d’hoûere.
- Siete-te ènne boussiatte, qu’èlle me diait. I veus t’voichaie ïn p’tèt tyissat.
I l’ainmôs bïn, çte Mélie. Éh bïn, qu’i vôs diôs, è y aivait çte Mélie... Ah, vôs voites, mit’naint. Çté qu’son hanne était tchoé de ci çlégie qu’an crayaît qu’èl était fotu.
- Bïn l’bondjoué, Mélie, qu’i yi dis. È vait ?
- È vait, è vait, qu’èlle me dit.
Èlle tricotaît des tchâsses, i n’sais p’diaile po tiu Enfin.
- Èt peus ces tchaimpes ?
- Çoli vait. Oh, te saîs, ç’n’ât pus po ritaie és mouchirons. Ç’ât di véye bôs.
Nôs ains djâsè di vlèdge, èt peus di véye temps, èt peus de cés que sont paitchis. È m’sannaît qu’èlle aivait encoé tote sai téte. Èlle m’é raipplè bïn des dgens qu’i aivôs rébiés. Le Thomas, vôs s’sovïntes ? Nian, pe çtu qu’sai fanne ... Poidé, le véjïn de çte Mélie.
Tot d’ïn côp, èlle me fait :
- Ç’ât qu’i vais chu mes quaitre-vingts.
Moi qui lai coégnâs bïn, i yi dis :
- Mains, Mélie, vôs les èz dj’aivus. Vôs èz fétè vos nonante lai snainne péssèe.
- T’és chûr ? Ces tchairvôtes, t’veus craire, ès n’m’aint ran dit.
I l’ai raicontè en lai soeur. Nôs ains riè, èt peus i riôs tot pa moi en me r’veniant poi lai Croux.
{Bernard Chapuis}
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Une visite à l’hospice
Je suis allé l’autre jour à Saint-Ursanne, rendre visite aux pensionnaires du Foyer. J’y vais encore bien souvent. Je me dis qu’à mon tour, je serai vieux. Et je serai bien content si l’on vient me voir, surtout avec une bonne bouteille.
Il y avait cette Amélie du Bout-de-là, vous savez, celle dont la fille a épousé le fils d’Achille derrière chez Colas ... Non ! Celle dont le fils a épousé la fille de Colas derrière chez Achille. ... Non, non ! Qu’est-ce que je radote ? Celle dont le mari ... Vous ne voyez pas ? Ce n’est rien.
Ainsi, il y avait cette Amélie du Bout-de-là, que j’avais bien connue autrefois, lorsque je lui portais le pain. Je restais auprès d’elle un bon quart d’heure.
- Assieds-toi un moment, me disait-elle. Je vais te verser un petit verre.
Je l’aimais bien, cette Amélie. Eh bien, vous disais-je, il y avait cette Amélie... Ah, vous voyez, maintenant. Celle dont le mari était tombé d’un cerisier. On a bien cru alors qu’il était perdu.
- Ça va ? que je lui demande.
- Ça va, ça va, qu’elle me répond.
Elle tricotait des bas, je ne sais au diable pour qui. Enfin.
- Et ces jambes ?
- Ça va. Oh, tu sais, ce n’est plus pour courir aux champignons. C’est du vieux bois.
Nous avons parlé du village, d’autrefois, de ceux qui sont partis. Il me semblait qu’elle avait encore toute sa tête. Elle m’a rappelé bien des personnes que j’avais oubliées. Thomas, par exemple, vous vous en souvenez ? Non, pas celui dont la femme ... Pardi, le voisin d’Amélie.
Tout à coup, elle me fait :
- C’est que je vais sur mes quatre-vingts.
Moi qui la connais bien, je lui dis :
- Mais, Amélie, vous les avez déjà eus. Vous avez fêté vos nonante la semaine passée.
- Tu es sûr ? Ces vauriens, tu veux croire, ils ne m’ont rien dit.
J’ai raconté l’épisode à la soeur. Nous avons ri, et je riais tout seul en revenant par le col de la Croix.
{Bernard Chapuis}