Par : Fleury LJ
Publié : 13 mars 2011

Le Tchairboenie, le charbonnier

Un charbonnier itinérant aux Franches-Montagnes

La fabrication du charbon a permis d’exploiter des forêts difficiles d’accès, en particulier les Hautes Joux, les forêts des haut du Jura. Construire une meule, l’allumer, en contrôler la combustion était une tâche délicate et astreignante. Emma Aubry-Dubail, des Emibois, raconte ses souvenirs d’enfance, quand le diable venait dîner le dimanche !
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Le tchairboénie

---- Ecouter le texte dit par Michel Cerf, accent ajoulot
---- Voici ïn seuvni d’afaints qu’é bïntôt soichante ans. Â bontemps, mon pére allait en lai raisse tçhrie des bés lavons èt quéques poutres po aipprâtaie l’hôtâ de note tchairboénie que r’veniait tos les ans d’Italie. Çoli f’sait encoè ènne bèlle bairaique, tiaind èlle était montèe. È botait ïn yét dains ïn câre, ènne petète tâle, ènne sèlle, ïn foinna é dous p’tchus, dous tiaisses, ènne grôsse laintiène pendue â moitan fénéssait son moubyaie. Le tchairboénie airrivait : ïn bon coéyat qu’ le traivaiye n’épaivurie p’. È pô près cent cïnquante stéres de bôs étïnt dje su piaice. È s’ botait â traivaiye dâs le premie djo, sai cape su lai téte, sai chique â câre de lai gourdge, son gros moétchou roudge â cô, ses maintches de tchemije rébraissies, è traivaiyait de lai pitçhatte di djo en lai roûe-neût. Èl aipprâtait l’empiaicement de son foéné, è rôtait l’hierbe ïn gros rond laivou è piaîntait â moitan ènne grôsse piertche po lai tcheumenèe (le tué), è drassait le bôs en rond bïn sèrrè l’un côte l’âtre, è pô près vint-cïntçhe stéres. È f’sait trâs étaidges, an airait dit ïn gros toétché de mairiaidge. Aiprès çoli, è le r’tieuvrait de tiere èt de mosse que l’oûere ne poéyesse pon entraie. Tot ât prât po l’allumaidge ! D’ènne sen, èl é laissie ïn p’tèt canal po enfûelaie aivô ènne piertche d’aivô de l’étoupe â bout, imbibèe de pétrole. Voili lai f’miere que pait de lai tcheumenèe. Èl ât bïn enfûelè po cïntçhe è ché djos, çoli dépend d’lai grôssou di foéné. È fât lôvraie neût èt djos, que çoli « cossenne » bïn sains pâre fûe. Aiprès ènne diejainne de djos que tot ât consumè, è fât tirie le tchairbon d’aivô ïn raîté en fie en f’saint aittention de ne pon trâ le brijie. An le botait dains des saitches qu’an cousait d’aivô de lai ficèlle èt an le poijait. Le faigi était botè dains ïn câre. Aich’tôt fini, le tchairboénie recmençait ïn âtre foéné. Mon pére aivô ïn vâlat airrivïnt d’aivô les quaitre tchevâs, dous tchiés è étchieles montès d’aivô les étchairâsses, les rues è schoiches, tchairdgïnt le tchairbon po le moénaie és clients tchie les boities è Traimelat, â Nairmont, è Saigneleudgie, tchie le peltie po r’péssaie les vétures qu’ès fabriquïnt dains ci temps-li. An r’péssait â fie è tchairbon. Le dûemoinne, note tchairboénie veniait dénaie d’aivô nôs. Tiaind èl airrivait en l’heu-d’vint, è brâlait ènne grôsse tiempène èt è criait : Voici le diaile qu’airrive ! Èl était cment les aillombrattes, aich’tôt qu’è voyait l’herbâ airrivaie, è f’sait son baluchon èt è s’en allait. Ïn côp, è dié en mai mére : « Tiaind i étôs djûene mairiè, mai fanne, èlle pûerait trâs djos d’vïnt qu’i n’ paitcheuche. Mitnaint qu’i seus véye, èlle tchainte trâs djos ! » Emma Aubry Dubail, Les Emibôs {Transcription en patois : D. Frund En mars 2011} ----

Le charbonnier

Voici un souvenir d’enfance qui a bientôt soixante ans. Au printemps, mon père allait à la scierie chercher de belles planches et quelques poutres pour préparer le gîte de notre charbonnier qui revenait tous les ans d’Italie. Cela faisait encore une belle baraque, quand elle était montée. Il installait un lit dans un coin, une petite table, une chaise, un fourneau à deux trous, deux casseroles, une grosse lanterne suspendue au milieu complétait son mobilier. Le charbonnier arrivait : un bon gars que le travail n’effrayait pas. A peu près 150 stères de bois étaient déjà sur place. Il se mettait au travail dès le premier jour, sa cape sur la tête, sa chique au coin de la bouche, son gros mouchoir rouge au cou, ses manches de chemise retroussées, il travaillait dès l’aube au crépuscule. Il préparait l’emplacement de la meule et enlevait l’herbe sur un gros rond au milieu duquel il plantait une grosse perche pour la cheminée, il dressait le bois en rond bien serré l’un contre l’autre, à peu près 25 stères. Il faisait 3 étages, on aurait dit un gros gâteau de mariage. Après cela,il le recouvrait de terre et de mousse afin que le l’air ne puisse entrer. Tout est prêt pour l’allumage ! D’un côté, il a laissé un petit canal pour mettre le feu avec une perche dont le bout est garnie d’étoupe imbibée de pétrole. Voilà la fumée qui sort de la cheminée. Il est allumé pour 5 à 6 jours, cela dépend de la grandeur de la meule. Il faut veiller nuit et jour, que cela "cossenne", se consume bien sans prendre feu. Après une dizaine de jours tout est consumé, il faut tirer le charbon avec un râteau en fer en faisant attention de ne pas trop le briser. On le mettait dans des sacs qu’on fermait avec de la ficelle et on le pesait. Le poussier était mis dans un coin. Aussitôt fini, le charbonnier recommençait une autre meule. Mon père avec un domestique arrivaient avec quatre chevaux, deux chars à échelles montés avec les barres pour l’écartement des échelles, les roues à cercles, ils chargeaient le charbon pour le porter aux clients chez les boîtiers à Tramelan, au Noirmont, à Saignelégier, chez le tailleur pour repasser les habits qu’ils confectionnaient en ce temps-là. On repassait avec un fer à charbon. Le dimanche, notre charbonnier venait dîner avec nous. Quand il arrivait devant la maison (au d’vant-huis), il secouait une grosse cloche et criait : Voici le diable qui arrive ! Il était comme les hirondelles, aussitôt qu’il voyait l’automne arriver, il faisait son baluchon et il s’en allait. Une fois, il dit à ma mère : "Quand j’étais jeune marié, ma femme, elle pleurait pendant trois jours avant que je ne parte. Maintenant que je suis vieux, elle chante pendant trois jours !" {Traduction : D. Frund Mai 2011 } ----
Le Tchairboenie, Emma Aubry-Dubail
Une illustration tirée de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alambert Meule de charbon, encyclopédie Diderot et d'Alambert ---- Un article de la revue GHETE 87-677, GHETE 2007, pp. 8-10
GHETE, le charbonnier
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