Publié :
12 septembre 2012
Le signe de croix.
Lai sangne.
Jean-Marie Moine
Lai sangne.
L’ paiyisain ainme le mois d’ôt meinme ch’ è sait qu’ des érouéynaints djoués sont preutches. Tos les maitïns, è fait l’ toué d’ ses tchaimps po voûere c’ment qu’ maivure lai moûechon, è raivoéte le cie po saivoi l’ temps qu’è veut faire.
Tiaind qu’è voit qu’ des moncés de noires nûes s’aimonç’lant, son tiûere s’étroind, taint èl é pavou di mâ temps, d’ lai grâle qu’ peut en ènne boussèe détrure ci biè qu’ èl é t’aivu taint d’ mâ po qu’è bousseuche bïn.
C’ t’ annèe, Dûe sait b’ni, tot s’ât bïn péssè. El é fayu trâs djoués po moûech’naie, les épis aint brâment bèyie. C’ât l’ grant-pére qu’était hèyerou. Aiprés ces grants djoués d’ pénibye traivaiye, le djûene paiyisain qu’ât dains lai foûeche de l’aîdge s’ bote è tâle po lai moirande. Tot l’ monde ... ât raissembiè dains lai tieûjainne, lu, ses afaints, sai fanne.
Tot l’ monde ... pochqu’ adjed’heû, è maintçhe quéqu’un. L’ grant-pére n’ât pus li, an l’ ont poétchè ç’te vâprèe â ceim’tére !
Lai fanne bèye lai métche de pain en son hanne qu’ é pris lai piaice di bout d’ lai tâle. E tïnt lai métche dains sai gâtche main, prend l’ couté dains son âtre main, raivoéte tos ces que d’moérant d’ sai famille, aittend ènne boussèe. Niun n’ dit pus ran. Dâs mitnaint c’ât yote toué de r’faire è de r’dire ç’ qu’yôs pairents, yôs grants-pairents pe tus les âtres de d’vaint, dâs grant aint aippris en yôs déchendaints. En grulaint ïn pô, balement, d’aivô l’ bout di couté, è fait ènne sangne (signe de croix) dôs lai métche. Drassie â long d’ lai tâle, lai djûene fanne praye : « Qu’ le Bon Dûe b’nâcheuche ci pain, tus ces qu’aint traivaiyie po qu’è feuche mitnaint chus ç’te tâle, pe tus ces qu’en maindg’raint ! A nom di Pére, di Fé, pe di Sïnt-Echprit, Amen ! ».
Ch’vôs piaît, vadgèz ç’te bèlle côtume dains tos les hôtâs d’ note paiyis ! Tchétçhe côp, ces qu’aint r’virie lai tiere, qu’aint vengnie, qu’aint moûech’naie sraint bnâchus. Sraint âchi bnâchus, l’ mouenie, le blantchie, le r’vendou, ces qu’aint ôvraie po poéyait aitch’taie ci pain, ces qu’ le sont aivu tçh’ri, ces qu’aint fait les machines (è y en é !) po édie es hannes è es fannes dains yote traivaiye, vôs enfïn pe tus les votes, tus ces d’ vos familles que n’ sairïnt vétçhie sains pain.
{J-M. Moine }
Le signe de croix.
Le paysan aime le mois d’août même s’il sait que des travaux éreintants sont proches. Tous les matins, il fait le tour de ses champs pour voir comment mûrit la moisson et regarde le ciel pour savoir le temps qu’il fera. Lorsqu’il voit une masse de nuages noirs s’amonceler, son cœur s’étreint tant il craint l’orage, la grêle qui peut en un instant anéantir ce blé dont il a pris tant de soin pour qu’il pousse bien.
Cette année, Dieu soit loué, tout s’est bien passé. Il a fallu trois jours pour moissonner, les épis ont bien donné. C’est le grand-père qui était heureux ! Après ces longs jours de travail pénible, le jeune paysan qui est dans la force de l’âge se met à table pour le souper. Tout le monde ... est rassemblé dans la cuisine, lui, ses enfants, sa femme.
Tout le monde ... parce qu’aujourd’hui, il manque quelqu’un. Le grand-père n’est plus là, on l’a porté au cimetière cet après-midi.
La femme donne la miche de pain à son mari qui a pris place au bout de la table. Il tient la miche dans sa main gauche, prend le couteau dans son autre main, regarde tous ceux de sa famille, attend un instant. Personne ne dit rien. Dès maintenant c’est leur tour de refaire, de redire ce que leurs parents, leurs grands-parents et tous les autres avant eux ont appris à leurs descendants. En tremblant un peu, lentement, avec la pointe du couteau, il trace un signe de croix sous la miche. Dressée près de la table, la jeune femme prie : « Que le Bon Dieu bénisse ce pain, tous ceux qui ont travaillé pour qu’il soit maintenant sur cette table, tous ceux qui en mangeront ! Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, Amen ! ».
S’il vous plaît, gardez cette belle coutume dans toutes les maisons de notre pays. Chaque fois, ceux qui ont retourné la terre, qui ont semé, qui ont moissonné seront bénis. Seront aussi bénis, le meunier, le boulanger, le revendeur, ceux qui ont travaillé pour pouvoir acheter ce pain, ceux qui sont allés le chercher, ceux qui ont fait les machines (ils sont nombreux !) pour aider les hommes et les femmes dans leur travail, vous enfin et tous les vôtres, tous ceux de vos familles qui ne sauraient vivre sans pain.