Par : Fleury LJ
Publié : 30 avril 2011

Le Pigu

texte dit par Etienne Jolidon, Courgenay ---- Présentation
Pigu, présentation 110430
Pigu, présentation 110430
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Le Pigu

Pigu, 2, Etienne Jolidon 110430
Pigu, 2, Etienne Jolidon 110430
Pigu, 3, Etienne Jolidon 110430
Pigu, 3, Etienne Jolidon 110430
Pigu, 4, Etienne Jolidon 110430
Pigu, 4, Etienne Jolidon 110430
Pigu, 5, Etienne Jolidon 110430
Pigu, 5, Etienne Jolidon 110430
Pigu, 6, Etienne Jolidon 110430
Pigu, 6, Etienne Jolidon 110430
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Le Pigu (nom sobriquet)

Il y a quelque chose de changé dans ce grand village ajoulot. Un… on ne sait pas quoi, un air qui passe, quelque chose qu’on ne saurait dire. Hier soir au Café, comme tous les soirs, les hommes parlaient de l’été, des nouvelles du Conseil communal, des fenaisons et puis de la neuve maison du Paul chez le receveur. Les jeunes causaient toujours de Koblet, de Bartali (coureurs cyclistes), de ces coureurs, du football. Tout à coup, plus personne ne disait rien  ; on aurait dit que quelque chose s’arrêtait. Mais, derrière tout ça, il devait y avoir quelque chose d’autre. Ce matin, sur la petite place de l’église, c’était la fête du printemps avec le beau soleil de mai qui éclairait les gros tilleuls qui avaient déjà mis leurs feuilles. Toutes confuses, les bavardes s’accostaient avec de tels airs de fouineurs – avec leurs yeux doux – que là-haut, dans les tilleuls, les oiseaux pourtant habitués d’entendre ce beau parler qu’est le patois, s’arrêtaient de chanter. Bien plus, les grenouilles se taisaient dans la gouille près de la vieille fontaine où quelques belles fleurs étalaient leurs feuilles vertes dans l’eau qui faisait un beau bruit. C’était intenable. On n’y pouvait plus tenir. Il fallait savoir ce qui se cachait derrière tout cela. Et on ne le saurait jamais mieux que chez la couturière, la Marie de beaux yeux qui savait tout, de l’arrière-grand-père de tous les ménages, jusqu’aux gens qui montaient au château le samedi et la sorte de bas que mettait la femme du maire. Après ma question, la bonne couturière fut toute étonnée. - Mais, je ne sais pas si j’ose. C’est un « secret  »… Un « secret  »  ! J’étais rassurée, j’allais tout savoir parce que c’était quelque chose de caché. - Vous voyez, dame Marie, vous me connaissez, vous savez que je suis comme la tombe, et puis si jamais… - Eh bien voilà, mais gardez-le pour vous  ! Un petit instant et puis, la gorge serrée   : - Tout ça parce qu’il revient… - Il revient  ? Qui…il  ? - Mais le Pigu… Le Pigu chez le Noi. Il a pris sa retraite et puis il revient chez nous. Il reprend sa maison sur la place. J’en savais assez. Tout s’éclairait maintenant. Comme ça, c’était le Pigu qui revenait. Enfant du village, il avait encore bien gagné sa vie à la ville avec son magasin. En politique aussi, il était « sacristain  » d’une loge maçonnique. On disait que, tous les ans, il prenait part au dîner du Vendredi-Saint et mangeait du curé à presque tous les soupers. Avec le Pigu, c’était sûr qu’un avenir trouble tomberait sur le village où, depuis bien longtemps les mères faisaient peur à leurs enfants en leur disant qu’elles les voulaient mener au Pigu. Déjà l’année passée, le bruit de son retour avait couru et on avait raconté toutes sortes de choses  : le curé voulait se faire renvoyer, les sociétés de la paroisse deviendraient laïques, on ne plus enterrer les gens à l’église, plus de catéchisme pour les enfants… Maintenant, c’était sûr, il reviendrait avec sa volonté de tout renverser ce qui tournait autour de l’église, sa mauvaise politique, son manque de souffle et sa retraite. Quelqu’un qui devait être bien embêté, ça devait être le curé. Et il l’était bien assez. On n’avait rien qu’à le voir sur le chemin, revenir tout seul depuis la ferme du Petit-Courtary. Qu’est-ce qu’allait devenir sa paroisse avec un tel homme de rien. Il songeait déjà à ce Gugu et puis à ce gros chez l’Hermine qui étaient déjà aux côtés du Pigu. Et il y avait encore le Gros Chapeau, beau causeur, mais tiré entre deux, et puis le Biainc des Sabots avec l’Alcide du Botnie, et puis, et puis… Mais, se dit-il, le Bon Dieu est là aussi  ; il s’en est déjà passé de l’autre dans le temps, au Kulturkampf. Si on n’avait pas tué de curé dans ce temps-là, ce n’est pas un « sacristain  » de loge maçonnique qui voulait le manger. Si le bon curé était ennuyé, un autre l’était aussi  : c’était celui que le car postal avait arrêté au bas du crêt qui menait à sa maison  ; il roulait des gros yeux qui fixaient le clocher de l’église, dressée là en-haut, aux deux gros sacs qui attendaient sur le chemin. - Bien le bonjour, Monsieur. - Bonjour  ! - Est-ce qu’il faut vous aider  ? - Ah  ! Ça jamais Monsieur le curé. Mais comme le curé avait déjà empoigné les sacs de celui qu’il ne connaissait pas, force en fut à celui-ci de le suivre. C’est comme cela que le Pigu a fait une entrée remarquée dans son village où il était venu au monde. Derrière les yeux des bavardes, le fier « sacristain  » de la loge « Camarades de la vieille lune  » traversa la place, courant, soufflant, transpirant… derrière le curé qui portait ses affaires. Pauvre Pigu  ! Quelle suée  ! Ce jour ne lui avait pas porté chance. Pour commencer un gros rhume et puis une mauvaise grippe. Maintenant, avec sa femme qui renonde, il attend comment les choses veulent tourner. Les plus bavardes ne savent plus quoi penser. Est-ce qu’il faut dire  : « Pauvre homme  »  ? « C’est bien fait  »  ? Presque tous les matins, le bon curé passe prendre des nouvelles du malade. Pigu était noir de colère. Personne à qui parler. Même pas une âme qui vaille la peine. Le vieux médecin, qui est un conservateur, passe toujours vraiment pressé. Il y a bien le curé… Mais… Un jour  : - Dis, Césarine, il est encore venu ce matin le curé  ? - Mais oui, tous les matins il vient… - Toujours  ? Toujours  ? - Toujours, je te l’ai déjà dit, il vient tous les jours. - Eh bien  ! C’est beau cela  ! Désormais, le parler du Pigu se fait plus hésitant. - Dis, Césarine, il n’a jamais demandé de monter  ? - Demander… de te voir, toi  ? Comment est-ce que tu veux qu’il ose le pauvre homme  ? Un autre jour  : - Césarine… - Oui… - Et puis le curé  ? - Eh bien, il est passé ce matin, mais il a vite couru avec un gros cabas sous le bras  ; il allait porter des belles grandes images du Sacré-Cœur, un souvenir de la Mission, dans toutes les maisons. - Et puis nous  ? - Non  ! Mais tu n’y songes pas, Pigu  ! Le Sacré-Cœur. Il n’a pas osé le pauvre. Et il doit savoir que tu as mis ton nom sur la feuille de cette loge. - Le papier que j’ai signé  ! Cette fois, la grogne qui couvait dans sa tête se réveille pire que le vent. Pigu, sur son lit, braille même s’il était très faible. - Tu peux le prendre ce sale papier… Là, dans le tiroir de la commode, et tu le mettras au feu. Maintenant, s’il m’arrive quelque chose et que ces hommes de rien de cette loge s’avisent de venir, tu prendras ce balai et tu les chasseras dehors. Voilà plus d’un mois que je suis au lit et que je n’ai personne vu. Et puis maintenant, demande au curé de venir… Tu lui diras de monter pour que je m’intéresse un peu… Le jour d’après  : - Eh bien Monsieur, si tous les curés étaient comme vous… - Mais Monsieur Pigu, à quelques différences près, les autres sont comme moi, et je ne suis pas meilleur qu’eux. Et puis, vous en connaissez combien  ? - Je n’en connais pas beaucoup, mais j’ai souvent entendu parler d’eux… - Oui, tous les mêmes  ; vous allez demander à des menteurs qui ne les connaissent pas plus que vous, mais qui savent bien dire sur leur dos les mensonges les plus bêtes. Quelques semaines plus tard, les dernières nouvelles du Pigu. Un jour que les gens de la loge « Camarades de la vieille lune  » cherchaient sur le journal des nouvelles de Pigu pour savoir ce qu’il avait déjà fait, ont pu lire ceci  : {Avis de décès Dame Césarine Morel fait part à ses parents, amis et connaissances, de la mort de son homme Octave Morel que Dieu a repris vers lui, le 12 juin dernier, avec les prières du Bon Dieu. Selon la volonté du défunt, la messe veut avoir lieu à l’église de Courtary, le 14 juin, à 10 heures le matin. Pas de bouquet et de fleurs. Des messes. Priez pour lui.} {Nouvelle écrite par Albéric , alias Etienne Jolidon, en février 2003. Traduit en novembre 2011 à Courgenay par Etienne Jolidon.}