Publié dans le Quotidien Jurassien le 14 janvier 2022
Lai tchemije d’ïn hèy’rou l’hanne
Le nobye chire di Morimont n’était p’ hèy’rou. Èl était paitchi en croûegeâde po épreuvaie de s’ tchaindgie les aivisoûeres. Poénne predjue. Èl en ât r’veni pus déprimè qu’aivaint. Des preutches yi consèyainnent de conchultaie le prayou di covent d’ Lucèlle qu’était coégnu po aipaiji èt r’bèyie lai djoûe de vivre.
- Le bonhèye n’ât p’ aijie è trovaie chu çte tiere, yi dit le moinne. Mains i coégnâs ïn infaiyibye moiyïn de t’ le procuraie.
- Lequél
? d’maindé le nobye.
- Ç’ât, réponjé le moinne, d’enf’laie lai tchemije d’ïn hèy’rou l’hanne.
Li-d’chu,le chire di Morimont eurméchié le prayou èt s’en feut tçheuri l’hèy’rou l’hanne qu’accèpteuche de yi vendre sai tchemije. È prové des tchemijes de saivaints, des tchemijes de soudaîts, des tchemijes de mairtchainds sains trovaie l’ bonhèye. È r’touénait â tchété déjéchpérè tiaind qu’èl oûyé tchaintaie drie ènne raindgie d’aibres. C’était ïn laiboérou que bousssait sai tchairrue. Le chire le récriyé :
- Bondjoué, l’aimi. Ât-ce que t’és hèy’rou
?
- Po chûr.
- Qu’ât-ce qu’è t’ mainque
?
- Ran di tot.
- Te tchang’rôs ton soûe po çtu d’ïn roi
?
- Djemais d’ lai vie
!
- Éh bïn, vends-me tai tchemije
!
- Mai tchemise
? I n’en aî pe.
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Ecouter la chronique lue par Bernard Chapuis
La chemise d’un homme heureux
Le seigneur du Morimont n’était pas heureux. Il était parti en croisade pour tenter de se changer les idées. Peine perdue. Il en est revenu plus déprimé qu’avant. Des proches lui conseillèrent de consulter le supérieur du couvent de Lucelle connu pour consoler et rendre la joie de vivre.
- Le bonheur n’est pas facile à trouver sur cette terre, lui dit le moine. Mais je connais un moyen infaillible de te le procurer.
- Lequel
? demanda le noble.
- C’est, répondit le religieux, d’enfiler la chemise d’un homme heureux.
Là-dessus, le seigneur du Morimont remercia le supérieur et s’en fut en quête d’un homme heureux qui acceptât de lui vendre sa chemise. Il essaya des chemises de savants, des chemises de soldats, des chemises de marchands sans trouver le bonheur. Il retournait au château désespéré quand il entendit chanter derrière une rangée d’arbres. C’était un laboureur qui poussait sa charrue. Le châtelain le récria :
- Bonjour, l’ami. Est-ce que tu es heureux
?
- Pour sûr.
- Qu’est-ce qu’il te manque
?
- Rien du tout.
- Tu changerais ton sort pour celui d’un roi
?
- Jamais de la vie
!
- Eh bien, vends-moi ta chemise
!
- Ma chemise
? Je n’en ai pas.
»