
Publié dans le Quotidien Jurassien le 4 septembre 2020
En l’hoûere de l’aipéro
Çt’Arseinne èt peus ci Fèrnand v’nyïnt tchéque saim’di és onze boire yos dous décis d’ bianc â Guillaume Tell di temps qu’yos fannes rittïnt les maigaisïns. Ès r’fesïnt le monde.
I veus te d’maindaie âtçhe, dit ïn djoué l’Arseinne en son aimi. Çoli fait dieche boénnes annèes que nôs se r’trovans ci po l’aipéro. Te sais qu’i déménaidge lai s’nainne que vïnt è Lai-Tchâ-d’ Fonds. Ât-ce qui oûje te prayie de continuaie de v’ni ci en seuv’niaince de note véye aimitie. Te boirés tes dous décis c’ment d’aivéje, èt peus te boirés âchi les mïnnes, c’ment si étôs li.
Ç’ât promis, dit l’ Fèrnand. Te peus comptaie chu moi.
Le saim’di d’aiprés, le Fèrnand entré â Guillaume Tell èt commaindé ses dous décis.
Èt peus, qu’è dit en lai s’mâyiere, te bott’rés dous âtres décis po çt’ Arseinne. I les boiraî en son nom. Po chur qu’i en aî bïn l’aigrie.
Èl en feut dïnche de s’nainne en s’nainne djuqu’en ci saim’di qu’ le Fèrnand ne commaindé ran que dous décis.
Èt peus encoé dous âtres, en seuv’niaince de çt’Arseinne, aidjouté lai s’mâyiere.
Nian, ç’ât fini.
Poquoi ? qu’èlle d’maindé tote écamie, èl ât airrivè âtçhe en vote aimi ?
Pe d’ tieusai po lu. È vai bïn. Ç’ que te m’ servirés, ç’ât po lu. Moi, i aî râtè de boire.
Note
lai s’mâyiere, la sommelière
écamie, étonnée
Ecouter la chronique lue par Bernard Chapuis
A l’heure de l’apéro
Arsène et Fernand venaient chaque samedi à onze heures boire leurs deux décis de blanc au Guillaume Tell pendant que leurs femmes couraient les magasins. Ils refaisaient le monde.
Je veux te demander quelque chose, dit un jour Arsène à son ami. Ça fait dix bonnes années, que nous nous retrouvons ici pour l’apéro.Tu sais que je déménage la semaine prochaine à La-Chaux-de Fonds. Est-ce que j’ose te prier de continuer à venir ici en souvenir de notre vieille amitié ? Tu boiras tes deux décis comme d’habitude, et tu boiras aussi les miens, comme si j’étais là.
C’est promis, dit Fernand. Tu peux compter sur moi.
Le samedi suivant, Fernand entra au Guillaume Tell et commanda ses deux décis.
Et puis, dit-il à la sommelière, tu en mettras deux autres pour Arsène. Je les boirai à son
nom. Pour sûr que j’en ai bien l’ennui.
Il en fut ainsi de semaine en semaine jusqu’à ce samedi où Fernand ne commanda rien que deux décis.
Et puis encore deux autres, en souvenir d’Arsène, ajouta la sommelière.
Non, c’est fini.
Pourquoi ? s’étonna-t-elle, il est arrivé quelque chose à votre ami ?
Ne t’inquiète pas pour lui. Il va bien. Ce que tu me serviras, c’est pour lui. Quant à moi, j’ai arrêté de boire.