Publié dans le Quotidien Jurassien le 3 avril 2020
Lai féye de mai
Ch’lai tyemeune de Bourrignon se drasse ènne roétche de 33 métres de hât qu’an aippele lai féye de mai. Dâ loin, an dirait qu’èlle é ènne téte de fanne d’avô des toiyies qu’yi faint cment ènne boiyatte. An peut montaie djuque enson poi ïn grouchie l’égraie. Les druides y célébrïnt yote tyulte. Dains lai neût des temps, ènne ordyouse baîchatte feut tchaingie en ci piyie de piere. En l’aicmence de mai, an fétait le r’toué di paitchi-feu. Les djôyéchainces dyurïnt djuqu’en lai pityatte di djoué. Ïn moinne que r’venyait di Vorbourg s’y râté èt s’ boté è tchaintaie d’aivô les âtres, è dainsie èt è chmoutsaie ces bèlles djûenes baîchattes. Ses fréres di covent l’aint tçheuri tot poitchot. Èls l’aint r’trovè roide moûe â pie de çte roétche. Dâdon, tchéque an, ci malhèy’rou eur’vïnt ch’ les yûes. Ç’ n’ât p’ le môment d’allaie vôs trainnaie poi li. È poérrait vôs en côtaie.
Ïn mairtchâ des rèses d’ lai Lucèlle que n’ craiyait ne en dyaile ne en Dûe, que n’aivait pavou d’ ran, déchidé d’y allaie, tot seul èt sains son tchïn que d’aivéje le cheûyait aidé. «
Tot çoli, ç’ât des dires de boénnes fannes, des fôles po les afaints. Çoli m’émaiy’rait qu’è r’venieuche, vot’ moinne. Èt peus s’èl eurvïnt, vôs voites çtu-li, qu’è dyait en montraint son poijaint maitché d’ mairtchâ, i yi en veus fotre ïn côp qu’è n’ veut pus s’ révoiyie.
»
Ç’ât lu que n’ s’ât p’ révoiyie. Èl é dichpairu sains léchie âtre traice qu’ènne taitche roudge saing â pie d’ lai féye de mai. Çte taitche, vôs n’ peutes pus lai voûere. Â paitchi-feu, è y é des çhoés en lai piaice, des sïnt-Djôsèt, des tchairpoulats. Lai vie é r’pris le d’chus.
Notes
des toiyies, des pins
les rèses, les rives
des sïnt-Djôsèt, des saint-Joseph, nom populaire des anémones
des tchairpoulats, des primevères
----
Ecouter la chronique lue par Bernard Chapuis
La fille de mai
Sur la commune de Bourrignon se dresse un rocher de 33 mètres de hauteur qu’on appelle la fille de mai. De loin, on dirait qu’elle a une tête de femme coiffée de pins. On peut grimper jusqu’à son sommet par un escalier rudimentaire. Les druides y célébraient leur culte. Dans la nuit des temps, une jeune fille orgueilleuse fut changée en ce pilier de pierre. Au début du mois de mai, on y organisait une fête pour le retour du printemps. Les réjouissances duraient jusqu’à l’aube. Un moine qui revenait du Vorbourg s’y arrêta et se mit à chanter avec les autres, à danser et à embrasser ces charmantes jeunes filles. Ses frères du couvent le cherchèrent partout. Ils le retrouvèrent raide mort au pied de ce rocher. Depuis, ce malheureux revient chaque année sur les lieux. Ce n’est pas le moment d’aller vous traîner par là. Il pourrait vous en coûter.
Un forgeron des rives de la Lucelle, qui ne croyait ni en diable ni en Dieu, qui se vantait de n’avoir peur de rien, décida d’y aller, seul et sans son chien qui habituellement l’accompagnait toujours.
«
Tout ça, ce sont des racontars, des enfantillages. Cela m’étonnerait qu’il revienne, votre moine. Et puis, s’il revient, vous voyez celui-là, disait-il en désignant son pesant marteau de forgeron, je lui en donnerai un coup dont il ne se réveillera pas.
»
C’est lui qui ne s’est pas réveillé. Il disparut sans laisser d’autre trace qu’une tache rouge sang au pied de la fille de mai. Cette tache, vous ne pouvez plus la voir. Au printemps, à la place, il y pousse des anémones et des primevères.