Publié dans le Quotidien Jurassien le 4 février 2022
Premie voiyaidge en train
Les premies trains, çoli c’était âtye
! Les dgens aivïnt pavou de ces maichines di diaile que çhoûechïnt d’lai noi femèe èt des roudges éplûes. An dyait que pâre le train, c’était s’échpôsaie è totes soûetches de richques. Chutot les fannes encïntes. Les wagons de trâjieme classe n’aivïnt p’ de toét. Les couradgeous viadgeous que prenyïnt piaice chu ces baincs en bôs étïnt tot nois en lai fin di voiyaidge èt s’ frottïnt les eûyes. È câse d’ lai vitèsse, ès s’ tenyïnt foûe és ridèlles èt trébeutchïnt les uns ch’ les âtres.
Cés qu’ aivïnt raté yot’ train dyïnt : «
An s’en veut aimâti des tch’mïns d’ fie. Les dilidgeinces, aittendïnt les viaidjous.
»
Isidore, le vadge-tcheusse di tchété, était po l’ progrès. «
Le tch’mïn d’ fie, ç’ât l’ aiv’ni
», qu’è dyait. «
Bïntôt, c’en s’ré fini d’ lai pochte és tch’vâs. Les cotchies dairaint tchaindgie d’ métie.
»
Isdore s’ât fait tot bé po son tot premie voiyaidge en tch’mïn d’ fie. Èl é enf’lè sai véture di dûemoéne, èl é pris son tchaipé d’étrain, sai cainne, èt s’ât rendu de son bon pas de vadge-tcheusse en lai gaire lai pus preutche. Â guichet, è d’mainde son byat.
- Qué classse
?
- Premiere, bïn chur. I n’ tïns p’è viadgeaie ch’ le piais po r’cidre des échcraibèyes chu mon bé tchaipé d’étrain.
È grïmpe chu ces maléjies l’égraîes, entre èt se siete voi lai f’nétre po bïn voûere le paiyisaidge. Bïn en vue, è y é ènne pyaique laivoù qu’ ç’ât graiy’nè : «
Méchires les viadjous sont prayies de n’ pe étieupaie poi tiere.
»
Le vadge-tcheusse n’ p’ de moétchou. È n’ s’en sèrt djemais dains les bôs.
- Laivoù qu’ès v’lant qu’i étieupeuche s’i n’oûeje pe étieupaie poi tiere
?
Èl eurnifle ïn bon côp, tchaimpe lai téte en airrie, èt envie ïn gros djâne cratchat â piafond.
Notes
An s’en veut aimâti, on s’en fatiguera
le piais, la plate-forme
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Ecouter la chronique lue par Bernard Chapuis
Premier voyage en train
Les premiers trains, ça, c’était quelque chose
! Les gens avaient peur de ces machines du diable qui crachent de la fumée noire et de rouges escarbilles. On disait que prendre le train, c’était s’exposer à toutes sortes de risques. Surtout les femmes enceintes. Les wagons de troisième classe n’avaient pas de toit. Les voyageurs courageux qui prenaient place sur ces bancs de bois étaient tout noirs à la fin du parcours et se frottaient les yeux. À cause de la vitesse, ils se tenaient fermement aux ridelles et trébuchaient les uns sur les autres.
Ceux qui avaient raté leur train disaient : «
On s’en fatiguera des chemins de fer. Les diligences, attendaient les voyageurs.
»
Isidore, le garde-chasse du château, était pour le progrès. «
Le chemin de fer, c’est l’avenir
», disait-il. «
Bientôt, c’en sera fini de la poste attelée. Les cochers devront changer de métier.
»
Isidore s’est fait beau pour son premier voyage en chemin de fer. Il a mis son complet du dimanche, il a pris son chapeau de paille, sa canne, et s’est rendu de son pas de garde-chasse à la gare la plus proche. Au guichet, il demande son billet.
- Quelle classe
?
- Première, bien sûr. Je ne tiens pas à voyager sur la plate-forme et recevoir des escarbilles sur mon beau chapeau de paille.
Il escalade l’escalier malaisé, entre et prend place près de la fenêtre afin de jouir du paysage. On lit sur une plaque bien en vue, : «
Messieurs les voyageurs sont priés de ne pas cracher par terre.
»
Le garde-chasse n’a pas de mouchoir. Il ne s’en sert jamais dans les bois.
- Où veulent-ils que je crache si je n’ose pas cracher par terre
?
Il renifle un bon coup, rejette lai tête en arrière et envoie un épais crachat jaune au plafond.