Publié dans le Quotidien Jurassien le 1
er octobre 2021
Lai valije és seuv’nis
Le Fridolin monte dains le train è D’lémont. Dains l’compartiment quasi veûd, è r’coégnât l’Honorine, ènne fanne qu’èl aivait ainmèe en lai folie dains sai djûenaince.
- Po ènne cheurprije, ç’ât ènne cheurprije. Te pèrmâs qu’i m’sieteuche en face de toi
? Çoli fait bïn trente ans.
Tot hèy’rous de ces r’trovaîyes, ès djâsans di temps péssè. Le Fridolin tchaimpe ïn oeûye ch’ lai valije de l’Honorine.
- Yèh, qu’è r’maîrtçhe, t’és lai meinme valije que moi.
- I l’ai aitchtèe â Manor, dit l’Honorine. Ès f’sïnt ènne action.
- Te sais, porcheut le Fridolin ïn pô troubyè, i t’ainmôs bïn dains l’ temps. Poquoi qu’ t’ n’és p’ velu te mariaie d’avô moi
?
- Moi âchi, i t’ainmôs. Ç’ât mes poirents que n’aint p’ velu. Mon pére, chutôt. I yi dyôs : èl ât protèchtant, lai bèlle aiffére. Ç’ât l’ meinme Bon Due. Mains i aî bïn daivu me ploiyie.
- I m’ pense que t’ n’és p’ d’moérèe véye baîchatte, ènne bèlle fanne cment toi. T’és grant-mére, t’és des p’tèt- l’afaints
?
- Pe chi p’tèts qu’ çoli. Le pus djûene é vingt-cïntye ans. Èt peus toi
?
- Oh, moi, i seus touedje véye boûebe. Aiprés qu’ nôs s’ sons tyitties, i aî fait mai vie taint bïn qu’mâ. I aivôs lai grie de toi. Bon. Ç’ât di péssè. Nôs voili è Biene. I t’ léche. S’ te saivôs qué piaiji i aî t’aivu de te r’trovaie.
En l’hôtâ, è pôje lai valije chu son yét, è l’ euvre. È s’était fotu d’ dains. C’était cée d’ son ancïenne bionde, son goéné, sai tchemije de neût, ses tchâsses. Le r’dyait predju d’vaint çte valije euvie, è pûerait.
Note
Le r’dyait, le regard
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Ecouter la chronique lue par Bernard Chapuis
La valise aux souvenirs
Fridolin monte dans le train à Delémont. Dans le compartiment presque vide, il reconnaît Honorine, une femme qu’il avait aimée éperdument dans sa jeunesse.
- Pour une surprise, c’est une surprise. Tu permets que je m’asseye en face de toi
? Cela fait bien trente ans.
Tout heureux de ces retrouvailles, ils évoquent le temps passé. Fridolin jette un œil sur la valise d’Honorine.
- Tiens, remarque-t-il, tu as la même valise que moi.
- Je l’ai achetée au Manor, dit Honorine. Elle était en promotion.
- Tu sais, poursuit Fridolin quelque peu troublé, je t’aimais bien autrefois. Pourquoi n’as-tu pas voulu m’épouser
?
- Moi aussi, je t’aimais. Ce sont mes parents qui n’acceptaient pas. Mon père, surtout. Je lui disais : «
Il est protestant
? La belle affaire. C’est le même Bon Dieu.
» Mais j’ai bien dû me soumettre.
- Je pense que tu n’es pas restée célibataire, une belle femme comme toi. Tu es grand-mère, tu as des petits-enfants
?
- Pas si petits que ça. Le plus jeune a vingt-cinq ans. Et toi
?
- Oh, moi, je suis toujours vieux garçon. Après notre séparation, j’ai fait ma vie tant bien que mal. J’avais l’ennui de toi. Bon. C’est du passé. Nous arrivons à Bienne. Je te laisse. Si tu savais le plaisir que j’ai eu à te revoir.
Chez lui, il pose la valise sur son lit, il l’ ouvre. Il s’était trompé. C’était celle de son ancienne bien-aimée, avec sa jupe, sa chemise de nuit, ses bas. Le regard perdu devant cette valise ouverte, il pleurait.