Les aïeux
Les aivioles
Jean-Marie Moine, Arc Hebdo juillet 2016
Les aivioles
Ât-ç’ que vôs n’ craites pe qu’ ces que, c’ment qu’ moi sont tchoi â monde en Suisse, quéques l’ annèes d’vaint déjnûef ceints trente-nûef, aint aivu d’ lai tchaince ? En premie, bïn chur, nôs n’ étïns p’ en dyiere. Nôs péres étïnt mob’yijè, pe c’ment qu’ en ci temps-li, â mons trâs dgeûrnâchions vétçhïnt ensoinne dains lai meinme mâjon, tot naiturâment l’ grant-pére rempiaiçait l’ pére qu’ était soudaît. Bâl’ment, ç’tu-ci aippregnait en ses p’téts-l’ afaints le pyiain : n’ tchaimpe pe dïnche lai fâ, pochque t’ lai veus piaintaie lai pitçhe dains lai tiere ;
n’ fais p’ de tâs laîrdges pairèes, t’ veus t’ épeûgie. È nôs aippregnait l’ coéraidge : aigonge de rét’laie meinme che t’ és sôle : te sais, l’cie ât noi d’ lai sen d’… Les grainds-méres yôs âchi aippregnïnt en yôs p’étes-féyes è faire des valmons d’ utiyes tchôjes dains lai tieujainne, dains l’ poiye, dains lai mâjon… Çoli aillédgéchait l’ traivaiye d’ lai mére. Bïn chur qu’ è y’ é aidé aivu des croûeyes laindyes. I n’ sairôs, chi, n’ pe vôs raipp’laie ç’te fôle qu’ an ôyait è
y’ é pus d’ soichante ans dains l’ Jura. Ç’ ât ènne aiffaire entre ènne fanne que n’ s’entendait
p’ trobïn daivô sai bru. Ïn bé djoué, qu’ è y aivait di tiraidge dains lai mâjon, lai bèlle mére dié en sai bru « èl ât graiy’nè ch’ lai roûe d’ mon d’rie qu’ vétçhie daivô sai bru, ç’ ât ïn enfie ! » Lai bru r’pregné tot comptant « èl ât graiy’nè ch’ lai roûe d’ mon tiu que dj’mais bèlle-mére n’ ain’mré bru ! ». Sains v’lait piepe ïn poi djudgie, i m’ muse en ces poûeres afaints d’ âdjd’-heû que n’ yi compregnant pus ran. Çoli m’ fait mâ d’ voûere ces écatchlèes faimilles qu’ sont aivu r’compôjèes, r’décompôjèes, eur’compôjèes, … Afaints ïn pô predjus, épreuvèz d’ saiji vôte tchaince. Vôs èz brâment pus d’ aiviôles que vôs caim’râdes des faimilles, qu’ an dit normâ ! Tchétçhun d’ yôs é tot piein d’aimoué po vôs. Musètes-vôs en ci véye hanne que ne v’lait p’ que doûes baîch’nattes pregnechïnt tchétçhènne yun d’ ces p’téts tchairrats po afaint qu’ an trove dains les maigaisïns. Tiaind qu’ i m’ pèrmâtté d’ dire en riaint : « voili ïn grant-pére qu’ n’ n’ ât p’ tot piein dgenti », les doûes soeurs eurpregnainnent « te vois le m’sieu
l’ dit bïn ! ». Tot trichte, è m’ dié en l’araye « i n’ oûeje pe, ènne des doûes n’ ât p’ lai mïn-ne ! » Musètes-vôs en lai Djeanne, qu’ aivait craiyu bïn faire en bèyaint d’ l’ émmental en lai Mairie, lai sœur de sai p’téte-féye. Lai Mairie dié : i en airôs v’lu di « daivô sains p’tchus ». Lai Djeanne embraissé lai Mairie en y’ bèyaint di gruyére… !
J-M. Moine
Les aïeux
Ne croyez-vous pas, que ceux qui, comme moi, sont nés en Suisse, quelques années avant 1939, ont eu de la chance ? Premièrement, bien sûr, nous n’étions pas en guerre. Nos pères étaient mobilisés, et comme en ce temps-là, trois générations au moins vivaient ensemble dans la même maison, tout naturellement le grand-père remplaçait le père qui était soldat. Douce-ment celui-ci apprenait à ses petits-enfants la patience : ne jette pas ainsi la faux parce que tu plantera la pointe dans la terre ; ne fais pas de telles larges fauchées, tu t’épuiseras. Il nous apprenait le courage : continue à râteler même si tu es fatigué : tu sais le ciel est noir du côté de … Les grands-mères elles aussi apprenaient à leurs petites-filles des tas de choses utiles dans la cuisine, dans la chambre commune, dans la maison…Cela allégeait le travail de maman. Bien sûr qu’il y a toujours eu des mauvaises langues. Je ne saurais, ici, ne pas vous rappeler cette histoire drôle qu’on entendait il y a plus de soixante ans dans le Jura. C’est une affaire entre une femme qui ne s’entendait pas très bien avec sa bru. Un jour, alors qu’il y avait du tirage dans la maison, la belle-mère dit à sa bru « il est écrit sur la raie de mon derrière que vivre avec sa bru, c’est un enfer ! » La bru reprit immédiatement « il est écrit sur la raie de mon c.. que jamais belle-mère n’aimera bru ! ». Sans vouloir juger, je songe à tous ces pauvres enfants d’aujourd’hui qui n’y comprennent plus rien. Cela me fait mal de voir ces familles écartelées qui ont été recomposées, décomposées à nouveau, recomposées encore… Enfants un peu perdus, essayez de saisir votre chance. Vous avez beaucoup plus d’aïeux que vos camarades des familles qu’on dit normales ! Chacun d’eux est plein d’amour pour vous. Pensez à ce vieil homme qui ne voulait pas que deux fillettes prennent chacune un de ces petits caddies pour enfant qu’on trouve dans les magasins. Quand je me permis de dire en riant : « voilà un grand-père qui n’est pas très gentil », les deux soeurs reprirent « tu vois, le monsieur l’a bien dit ! » Tout triste, il me dit à l’oreille « je n’ose pas, une des deux n’est pas la mienne ! » Pensez à Jeanne qui avait cru bien faire en donnant de l’emmental à Marie, la sœur de sa petite-fille. Marie dit : j’en aurais voulu du « avec sans trou ». Jeanne embrassa Marie en lui donnant du gruyère… !
J-M. Moine