Publié dans le Quotidien Jurassien le 30 avril 2021
Le rétlat
Sai toilètte di maitïn était vite èchpédièe. Ïn côp d’ laivatte dôs l’ robinèt, lai main dains les pois en dyise de peingnatte. Gilbèrt vétyait sains salle de bain èt sentait pus s’vent l’étale que le saivon d’ Marseille. Ses dents le préottyupïnt moins encoé. Ènne visite tchie l’airraitchou de dents
? Ne le temps ne les moyïns. Le toubac finissait les raivaidges qu’aivïnt causès les tyeulattes èt socreries d’ son afaince. Tiaind qu’è riait, an voyait ses djânes creuss’nats èt les veudes laivoù qu’è yi mainquait des dents. Taint pés. È poétch’rait ïn rétlat c’ment ses dous soeurs, cment son pére, cment sai mére que l’ rôtait l’ soi èt peus que le voidgeait dains ènne boéte chus sai tâle de neût.
Ïn djoué d’ foire, è boussé lai poûetche de l’airraitchou de dents. Dains l’ poiye d’aittente, ïn hanne aivait ènne énôrme chique qu’aivait l’air d’yi faire mâ, ènne fanne aivait l’ meuté emballè dains sai boyatte cment ïn ûe d’ Pâitçhe. Gilbèrt é daivu paitientaie ènne boénne hoûere.
- Vôs v’nites ïn pô taid, yi dit le dentichte. I n’ sais p’ si poérrôs sâvaie les dents qu’ vôs rèchtant. Le meus s’rait d’ les airraitchie èt d’ vôs botaie ïn rétlat.
- Çoli veut m’ cotaie cobïn
? d’mainde ci Gilbèrt, qu’aivait pavou d’ lai dépense.
- Mai s’crétaire peut vôs faire ïn d’vis.
- I vôs peurpôse ïn airraindg’ment, dit Gilbèrt. Se vôs m’ faites ïn prix po l’airraitchaidge, i fais le rétlat tchie vôs.
- Nôs n’ sons p’ ch’ lai foire. Nos tairifs sont fixès. Se vôs v’lèz mairtchaindaie, vôs s’étes trompè d’aidrasse.
Note
le rétlat, le dentier
ses djânes creuss’nats, ses chicots jaunis
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Ecouter la chronique lue par Bernard Chapuis
Le dentier
Sa toilette matinale était vite expédiée. Un coup de lavette sous le robinet, la main dans les cheveux en guise de peigne. Gilbert vivait sans salle de bain et sentait plus souvent l’étable que le savon de Marseille. Ses dents le préoccupaient moins encore. Une visite chez le dentiste
? Ni le temps ni les moyens. Le tabac achevait les ravages qu’avaient causés les bonbons et autres sucreries de son enfance. Quand il riait, on voyait ses chicots jaunis et les vides où il lui manquait des dents. Tant pis. Il porterait un dentier, comme ses deux sœurs, comme son père, comme sa mère qui l’enlevait le soir et le mettait dans une boîte sur sa table de nuit.
Un jour de foire, il franchit la porte du cabinet dentaire. Dans la salle d’attente, il y avait un homme affligé d’une énorme chique qui avait l’air de le faire souffrir, une femme dont le visage enveloppé dans son châle ressemblait à un œuf de Pâques. Gilbert dut patienter une bonne heure.
- Vous venez un peu tard, lui dit le dentiste. Je ne sais pas si je peux sauver les dents qui vous restent. Le mieux serait de les arracher et de vous mettre un dentier.
- Ça va me coûter combien
? demande Gilbert, effrayé par la dépense.
- Ma secrétaire peut vous établir un devis.
- Je vous propose un arrangement, dit Gilbert. Si vous me faites un prix pour l’arrachage, je fais le dentier chez vous.
- Nous ne sommes pas sur la foire. Nos tarifs sont fixés. Si vous voulez marchander, vous vous êtes trompé d’adresse.