Par : Fleury LJ
Publié : 4 avril 2014

Jeunes malades

Djûenes malaites

Paru dans Arc Hebdo le 27 mars 2014

Djûenes malaites

Vés déj’nûef cents cïnquante è heûte, le chunôde des raicodjaires se t’nié è Poérreintru. An aivait fait è v’ni ci djoué-li yun d’ces grôs méd’cïns d’ Bèll’lay. C’ était bïn chur ïn hanne maivu, ïn s’néméd’cïn (psychiatre). È daivait étre encoé étre prou djûene, pochqu’ è nôs diait dains son biat d’ preujentâchion qu’ èl aippliquait lai chubrenétique (cybernétique) en lai s’néscience (psychologie). I me ch’vïns qu’ le préjideint d’ l’ aichembyèe aivait èc’mencie dïnche son dichcoué d’ entrèe : Chér M’sieu l’ Dotoé, i aî tçh’ri dains tos les glosséres, mains i n’ aî p’ trové l’ mot « chubrenétique ». È bïn, daivô tos mes collédyes raicodjaires, i seus preussie d’ aippâre âtçhe que toutche â capiron d’ lai scienche. Le s’néméd’cïn èc’mencé d’ nôs échpôjaie ses tyiories. C’ était quâsi c’ment qu’ ïn prâtche de môtie. Aiprés ènne boinne houre, le conf’reinchie d’maindé : « Ât-ç’ qu’ è y é des quèch-tions ? ». Niun n’ diait ran, tot l’ monde était quâsi ébieûgi ! Aiprés ènne boussèe, yun des pus véyes régents dié : « i aî épreuvè d’ vôs cheûdre â meu. Di temps qu’ vôs djâsïns, i r’péssôs dains mai téte les trâs, quaitre ceints éyeuves qu’ i aî t’ aivu en l’écôle. È bïn, èls étïnt tus malaites, c’ment qu’ vôs l’ dites ! Lai Mairie moûejait son aidé son graiyon ; l’ Pierat graiy’nait d’ lai gâtche main ; l’ Dyi était aidé en r’taîd, è n’ était dj’mais tieût, l’ Djôsèt aillouxait totes les baîchattes que péssïnt â long d’ son bainc. I m’ muse âchi en ci p’tèt Djeain qu’ aivait pavou d’ tot, qu’ aivait di mâ d’allaie daivô les âtres. Pe ci grôs Marcel qu’ s’ en preniait aidé en ci p’tét Djeain, djainqu’ â djoué qu’ les âtres se sont botè tus ensoinne contre lu, pe l’aint fotu tot véti dains le grôs b’né di v’laidge…È bïn vôs voites, dâs ci djoué-li, ci Djeain pe l’ Marcel feunent des aimis. Ïn afaint aibaingne de l’aimoé, di bon éjempye, d’ lai conchtainne churvayainche de ses pairents, qu’ le daint r’botaie dains le drèt tch’mïn ch’ è dépésse les boûenes qu’ èls aint fichquè. Èl é âchi fâte di bïnveuyaint l’ ensoingn’ment di raicodjaire qu’ le dait aidé encoéraidgie mains âchi, ch’ è l’ fât, qu’ le dait saivoi r’pâre tiaind qu’ èl é fâtaie. » Pe, le véye régent s’ sieté. Ç’ feut ènne égrâlèe d’ aippiâdgéch’ments. L’ Dotoé tçhitté l’ aichembyèe aiprès qu’ le préjideint d’ l’ aichembyèe l’ euche eur’mèchiè po son saivaint l’ échpôjè ! Ç’ ât empie aiprés l’ dépaît d’ ci s’néméd’cïn qu’ note véye raicodjaire eurvenié è tchaîrdge pe nôs dit : « i n’ aî p’oûjè dire en ci saivaint qu’ nos afaints n’ étïnt p’ aitaint malaites que lu… » J-M. Moine

Jeunes malades

Vers mille neuf cent cinquante-huit, le synode des instituteurs se tint à Porrentruy. On avait fait venir ce jour-là l’un de ces grands médecins de Bellelay. C’était bien sûr un homme d’âge mûr, un psychiatre. Il devait être encore assez jeune, car il nous disait dans son petit mot de présentation, qu’il appliquait la cybernétique à la psychologie. Je me souviens que le président de l’assemblée avait commencé ainsi son discours d’entrée : Cher Monsieur le Docteur, j’ai cherché dans tous les dictionnaires, mais je n’ai pas trouvé le mot « cybernétique ». Eh bien, avec tous mes collègues instituteurs, je suis pressé d’apprendre quelque chose qui touche au sommet de la science. Le psychiatre commença de nous exposer ses théories. C’était presque comme un prêche d’église. Après une bonne heure, le conférencier demanda : « Y a-t-il des questions ? ». Personne ne disait rien, tout le monde était presque étourdi ! Après un instant, l’un des régents les plus âgés dit : « j’ai essayé de vous suivre au mieux. Pendant que vous parliez, je repassais dans ma tête les trois, quatre cents élèves que l’ai eus à l’école. Eh bien, ils étaient tous malades, comme vous le dites ! Marie mordait toujours son crayon ; Pierre écrivait de la main gauche ; Guy était toujours en retard, il n’était jamais prêt ; Joseph taquinait toutes les filles qui passaient à côté de son banc. Je pense aussi au petit Jean qui avait peur de tout, qui peinait à aller avec les autres. Et ce grand Marcel, qui s’en prenait toujours à ce petit Jean, jusqu’ au jour où les autres se sont ligués contre lui, et l’ont jeté tout habillé dans la grande fontaine du village. Eh bien vous voyez, dès ce jour-là, Jean et Marcel furent des amis. Un enfant a besoin de l’amour, du bon exemple, de la surveillance constante de ses parents, qui doivent le remettre dans le droit chemin s’il dépasse les bornes qu’ils ont fixées. Il a besoin, aussi, de l’enseignement bienveillant du maître qui doit l’encourager mais aussi, s’il le faut, qui doit savoir le reprendre quand il a fauté. » Et le vieux régent s’assit. Ce fut une « grêle » d’applaudissements. Le Docteur quitta l’assemblée après que le président de l’assemblée l’eût remercié pour son savant exposé ! C’est seulement après le départ de ce psychiatre que notre vieil instituteur revint à charge et nous dit : « je n’ai pas osé dire à ce savant que nos enfants n’étaient pas autant malades que lui… » J-M. Moine