Publié : 4 décembre 2020

Le tablier de ma grand-mère

Le d’vaintrie d’ mai grant-mére

Bernard Chapuis

Publié dans le Quotidien Jurassien le 4 décembre 2020

Le d’vaintrie d’ mai grant-mére

Mai grant-mére d’ lai sens d’ mon pére vétyait d’avô nôs. Çoli fait bïn cïnquante ans qu’èlle n’ât pus d’ ci monde. Mains è m’ seuffit de çhioûre les oeuyes po lai r’voûere. Èlle ât li, â long d’ moi, tot de noi vétie, èt touedge d’aivô son étrenâ d’vaintrie c’ment totes les fannes de sai dgén’râchion. Ci d’vaintrie yi sèrvait po tot. Po échuere les laigres des p’tèts-l’afaints. Po nantayie yote moére baîrboéyè de confreture. Po rôtaie yote nitye que dégottait d’yote meuté. Mai grant-mére r’venyait di dgeurnie d’aivô des ues dains son d’vaintrie. Èlle raippoétchait di bôs po l’ foénat dains son d’vaintrie. Â tyeutchi, tiaind lai métchainte bije tirait l’oûere, èlle euryevait son d’vaintrie ch’ lai téte c’ment ènne boyatte. Poi les grantes tchalous, èlle s’épiondgeait lai chué di cevré aidé d’aivô son d’vaintrie. È crepéchon dains le voirdgie, èlle raiméssait les panmes dains l’hierbe èt les poétchait en lai tyeujènne dains son d’vaintrie. Po n’ pe s’ brêulaie, èlle retyirait le toétché di foué d’aivô son d’vaintrie èt l’ botait è r’fraidi ch’ lai taiblatte d’ lai f’nétre. Â cèm’tiere, èlle rôtait l’ poussat ch’ lai tombe de mon grant-pére è côps de d’vaintrie tot en mairmoénnaint des avé mairia. « Bon, i m’en vais, qu’èlle dyait en arrandgeaint le faimeux d’vaintrie atoué de son goèné. Poétche-te bïn ! » Dains ïn mairtchi és puces, i aî r’trovè ïn d’vaintrie que r’sannait en çtu d’ mai grant-mére. I l’aî aitchtè tot comptant sains raivoétaie â prix. Mai fanne m’é pris po ïn fô. ---- Ecouter la chronique lue par Bernard Chapuis

Le tablier de ma grand-mère

Ma grand-mère paternelle vivait avec nous. Cela fait bien cinquante ans qu’elle n’est plus de ce monde. Mais il me suffit de fermer les yeux pour la revoir. Elle est là, à mes côtés, toute de noir vêtue, et toujours avec son éternel tablier comme toutes les femmes de sa génération. Ce tablier lui servait pour tout. Pour essuyer les larmes de ses petits-enfants. Pour nettoyer leur frimousse barbouillée de confiture. Pour enlever la morve qui s’égouttait de leurs narines. Ma grand-mère revenait du poulailler avec des œufs dans son tablier. Elle rapportait des bûches pour le fourneau dans son tablier. Au jardin potager, quand la méchante bise soufflait, elle relevait son tablier sur sa tête en guise de fichu. Par les grandes chaleurs, elle s’épongeait le front en sueur et toujours avec son tablier. À croupetons dans le verger, elle ramassait les pommes dans l’herbe et les portait à la cuisine dans son tablier. Pour ne pas se brûler, elle retirait la tarte du four à l’aide de son tablier et la mettait à refroidir sur le rebord de la fenêtre. Au cimetière, elle époussetait lai tombe de mon grand-père à coups de tablier tout en marmonnant des Je vous salue. « Bon, je m’en vais, disait-elle en rectifiant le fameux tablier autour de sa jupe. Porte-toi bien ! » Dans un marché aux puces, j’ai découvert un tablier qui ressemblait à celui de ma grand-mère. Je l’ai acheté aussitôt sans regarder le prix. Ma femme m’a pris pour un fou.