Bernard Chapuis, avec l’aide du Chanoine Jacques Oeuvray, a traduit ce poème pour une publication concertée des patois de Suisse romande, à l’initiative des Valaisans.
Il indique la difficulté de la traduction dans un domaine poétique qui n’est pas celui de la langue utilisée dans la vie journalière.
Cantique des Créatures
{Patois jurassien}
Dûe Brâment-Hât, Brâment-Foûe, bon Chire,
en Toi sont les éleudges,
lai gloûere, lʼhonnoûe,
èt peus tote bnâchon.
Tot çoli ne vât ran que pou Toi, Dûe Brâment-Hât,
èt peus niun djemains n’oûeje prononcie ton Nom.
*
Que feuchïnt tchaintès tes lônaidges, mon Chire,
d’aivô tot ço qu’T’és faît,
chutot not’ frérat,
ci chire Soroiye,
que nôs baiye le djoè.
Poi lu Te nôs éçhaire.
Èl ât bé, è r’yue
de tote sai biâtè.
De Toi, mon Dûe Brâment-Hât,
Èl ât le saingne.
*
Que tu feuches tchaintè, mon Chire,
poi Soeûr lai Yune èt les yûtchïns dains l’cie.
T’les ais és môlès
riuaints, des trésoûes chi rètches èt peus chi bés.
*
Que feuchïnt tchaintès tes lônaidges, mon Chire,
po not’ frérat, l’Hoûere,
po l’air èt peus les nûes,
po le paîje cie èt peus tos les temps
que porcheûyant ton ôvrâ.
*
Que feuchïnt tchaintès tes lônaidges, mon Chire,
po sœûr Âve.
Èlle ât brâment yutiye,
chi rètche èt peus chi çhaire.
*
Que feuchïnt tchaintès tes lônaidges, mon Chire,
po not’ frérat, le Fûe.
Poi lu T’éçhaires lai neût.
Èl ât bé èt peus djoéyou.
Èl ât réchâle èt peus foûe.
*
Que feuchïnt tchaintès tes lônaidges, mon Chire,
po lai Tiere, note sœûr èt mére.
Èlle nôs sôtïnt, èlle nôs neûrrit.
Èlle nôs baiye totes soûetches de fruts
d’aivô des tyeulèes çhoés.
*
Que feuchïnt tchaintès tes lônaidges, mon Chire,
po cés que poidj’nant è câse de yôte aimoé po Toi.
Ès chuppoétchant les malaidies èt peus les toérmeints.
Bïnhèy’rous cés qu’les chuppoétchant dains l’aipaîj’ment
poch’que, poi Toi, Brâment-Foû,
ès sraint corannès.
*
Que feuchïnt tchaintès tes lônaidges, mon Chire,
po note sœûr lai Moûe.
È n’y é p’ vétçhaint que poéyeuche yi rétchaippaie.
Mâlhèy’rous cés que meureraint
sains conféssaie yôs grôsses fâtes.
Bïnhèy’rous cés qu’vétçhant dains tai v’lantè.
Ç’te doujieme moûe n’yôs f’ré ran d’ mâ.
*
Tchaintèz èt peus b’nâchèz mon Chire.
È n’vôs fât dj’mais rébiaie de L’eurmèchiaie.
Servâtes-Le et cheûtes-Le humbyement.
*
{Bernard Chapuis avec la collaboration du chanoine Jacques Oeuvray, Porrentruy}
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{François d’Assise prêchant aux oiseaux (d’après les Fioretti) par Giotto}
http://fr.wikipedia.org/wiki/François_d’Assise
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Le Cantique des créatures
{{Saint François d’Assise, vers 1225}}
Très haut, tout-puissant, bon Seigneur,
à toi sont les louanges,
la gloire et lʼhonneur,
et toute bénédiction.
À toi seul,
Très-Haut, ils conviennent,
Et nul homme nʼest digne de te mentionner (de prononcer ton nom).
*
Loué sois-tu, mon Seigneur,
avec toutes tes créatures,
spécialement, monsieur (messire)
[le] frère Soleil,
lequel est le jour (il nous
donne le jour),
et par lui tu nous illumines.
Et il est beau et rayonnant (et rayonne)
avec grande splendeur,
de toi,
Très-Haut, il porte signification
(il est le signe).
*
Loué sois-tu, mon Seigneur,
par (pour) sœur Lune et les étoiles,
dans le ciel tu les as formées (créées)
claires, précieuses et belles.
*
Loué sois-tu, mon Seigneur, pour frère le vent
et pour l’air et la nuée
et la sérénité et tous les temps
qui pénètrent tes créatures de ton souffle de vie
*
Loué sois-tu, mon Seigneur, pour soeur l’eau
qui est utile et humble et précieuse et chaste
*
Loué sois-tu, mon Seigneur, pour frère le feu
par qui tu revêts la nuit de clarté :
et il est beau et plein de joie et irrésistible.
*
Loué sois-tu, mon Seigneur, pour soeur notre mère la Terre
qui prend soin de nous et nous donne nourriture et boisson
et elle porte toutes espèces de fruits, avec mille fleurs diaprées
et les herbes.
*
Loué sois-tu, mon Seigneur, à cause de ceux qui pardonnent
pour ton amour
et endurent peines et tribulations.
Heureux ceux qui souffrent dans la paix,
car par toi, Très-Haut, ils seront couronnés.
*
Loué sois-tu, mon Seigneur, pour notre soeur la mort corporelle
Nul homme vivant ne peut lui échapper.
Malheur à ceux qui meurent en péché mortel.
Heureux ceux qu’elle trouvera soumis à tes saintes volontés
car la seconde mort ne pourra leur nuire.
Louez et bénissez mon Seigneur,
et remerciez-le et servez-le en grande humilité.
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{{Remarque aux initiateurs du projet de comparaison des patois}}
Ce que vous proposez est un exercice non seulement difficile mais périlleux, car semé d’embûches.
Traduire, c’est trahir, dit-on. Dans le cas particulier, ne risquons-nous pas de trahir le texte original
?
Nos patois, si bien adaptés à l’environnement concret, au quotidien, aux objets familiers, ne disposent pas des nuances indispensables pour rendre la pensée mystique du {poverello} dans toute sa finesse et toute son élévation. Ce sont des langues de la terre, François manie la langue du ciel.
Un exemple de difficulté :
Louer le Seigneur n’a rien à voir avec louer un domaine (en patois jurassien : {affèrmaie ïn bïn}) ou louer son domaine, soit mettre son propre domaine en location ({aimôdyaie son bïn}).
{Bragaie}, louer, vanter les mérites, s’approcherait déjà davantage de la louange. {È fât bragaie lai France èt peus dmoéraie en Suisse}, disaient autrefois les Ajoulots.
Mais l’homme de foi peut-il se contenter de vanter les mérites du Seigneur
?
Autre cas :
«
Louer le Seigneur par la lune et les étoiles
» n’a pas la même signification que «
louer le Seigneur pour la lune et les étoiles.
» Il existe entre les deux formulations un abîme théologique de taille.
Bernard Chapuis