Publié dans le Quotidien Jurassien le 15 octobre 2021
Le bon tch’mïn
Yun d’ Baîle était v’ni mairtchi dains not’ bèlle Aidjoûe. È n’aivait p’ de dyïmbarde. Èl é pris l’ train djuqu’è Poérreintru èt peu lai pochte djuqu’è Daimphreux. De li, è s’ât engaidgi ch’ lai Hâde de Mont’gnèz. Ç’ât ïn mairtchou djemais éroéy’nè. Tchéque saim’di-dûemoène, è botait ïn p’tèt r’cegnon dains son hâbresait, des fruts, di pain, di fromaidge, ïn cévrela, de l’âve, brâment d’âve. Èl enf’lait ses grôs tchairquèts, pregnait ses dous soûetas d’ mairtche èt paitchait ch’ les tch’mïns. È poéyait faire vingt, trente kilométres d’ènne djouénèe.
Nôs le r’trovans çte bèlle vâprèe d’èrbâ dains l’ finaidge entre Daimphreux, Niungnèz èt Mont’gnèz. Airrivè en lai Croux laivoù qu’an allait dains l’ temps és Rogâchions, è s’ât râtè, èl é soûetchi ses câtches, sai boussole, è s’at grattè le cevrè. «
È y é dous tch’mïns, bon, qu’è muse, çtu è drète vait ch’ lai ferme des Boulaies èt chu Mont’gnèz. Mains çt’âtre è gâtche, aich’ bïn goudronnè, i m’ demainde bïn laivoù qu’è vait. Tïns, voili ïn paiyisain chu son tirou. I m’en veus yi pôjaie lai quèchtion.
»
- Èstyûjètes-me, Chire. S’è vôs pyaît, ât-ce que vôs peutes me dire laivoù qu’è vait ci tch’mïn
?
Les dgens de ci coénat ainmant bïn coéy’naie. I l’sait, i en seus. Djuchie chu son tirou, l’hanne yi répond, sériou c’ment ïn paipe :
- È d’moère ci. È n’ vait è âtiûne paît, ci tch’mïn. Nôs en ains fâte.
Note :
- lai Hâde de Mont’gnèz, lieu-dit à Damphreux, raidillon qui part dans les champs en direction de Montignez
- ïn mairtchi djemais éroéy’nè, un marcheur infatigable
- coéy’naie, plaisanter
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Ecouter la chronique lue par Bernard Chapuis
Le bon chemin
Un Bâlois était venu marcher dans notre belle Ajoie. Comme il n’avait pas de voiture, il a pris le train jusqu’à Porrentruy et la poste jusqu’à Damphreux. De là, il s’est engagé sur la Hâde de Montignez. C’est un marcheur infatigable. Chaque fin de semaine, il mettait un petit pique-nique dans son sac à dos, des fruits, du pain, du fromage, un cervelas, de l’eau en suffisance. Il enfilait ses gros souliers, prenait ses deux bâtons de marche et se mettait en chemin. Il pouvait faire une trentaine, une vingtaine de kilomètres en une seule journée.
En ce bel après-midi d’automne, nous le retrouvons dans le finage entre Damphreux, Lugnez et Montignez. Parvenu à la Croix où les fidèles se rendaient au temps des Rogations, il s’est arrêté, il a sorti ses cartes, sa boussole, il s’est gratté le crâne. «
Il y a deux chemins. Bon. Je pense que celui de droite va à la ferme des Boulaies en direction de Montignez. Mais cet autre, à gauche, également goudronné, je me demande bien où il va. Tiens, voilà un paysan sur son tracteur. Je m’en vais lui poser la question.
»
- Excusez-moi, cher Monsieur. Pourriez-vous me dire, s’il vous plaît, où va ce chemin
?
Les gens du coin sont facétieux. Je le sais, j’en suis. L’homme perché sur son tracteur lui répond, le plus sérieusement du monde :
- Il reste ici. Il ne va nulle part, ce chemin. Nous en avons besoin.