Publié : 7 mai 2021

Il faut le temps

È fât l’ temps

Bernard Chapuis

Publié dans le Quotidien Jurassien le 7 mai 2021

È fât l’ temps

Aiprés aivoi purgè ènne poènne de vingt ans è Bochuz, è r’touène dains sai vèlle. È y r’trove sai mâjon aibaind’nèe. Sai rue é bïn tchaindgie. Ç’ât tot djeute s’è s’y r’coégnât. Ô, çoli é bin tchaindgie dâ son entrèe â péniteincie. Le cabairèt És trâs poûechons n’ât pus li. En piaice, è y é ïn aipothitçhaire. Lai p’tète écôle des soeurs ât frome. Cment lai pochte. Ch’ les étitçhètes des boétes és lattres, ç’ât tot des noms que n’yi dyant ran. « Poétchaint, i seus d’ ci care, ç’ât mai vèlle, mai rue, d’aivô mai mâjon. » Mains â long d’ sai mâjon, lai boutitye di crevoij’rat ât aidé li, des soulaies dains lai d’vainture. Le prij’nie libérè tchaimpe ïn eûye poi lai pouêtche vitrèe. Ç’ât le meinme paitron, çtu qu’èl é coégnu dains l’temps, è poènne ïn pô pus coérbat. È s’ sovïnt aidonc qu’èl yi aivait bèyie ènne paire de tchâssures de vèlle è res’mèllaie. Èl entre. - Bondjoué, qu’è dit â crevoij’rat çhainnè chu son traivail. Vôs n’ se sovïntes pe d’ moi ? È y é vingt ans, i vôs ai léchi ènne paire de soulaies de vèlle è res’mèllaie. Vôs les èz encoé aidé ? - Çoli s’ peut. Aittentes ! Le saiv’tie dichpairât dains lai riere-boutitye, èt dépiaice des cairtons. Çoli vait grant. - Cment qu’ès sont, ces soulaies ? - Ès sont nois, èls aint des laicèts èt le bout pointou. Ç’ât di quairante-trâs. - Voili, i les aî r’trovès. I n’ai ponqu’ aivu l’ temps d’ m’en ottyuppaie. Repéssèz lai snainne que vïnt. Saim’di en heute, ès dairïnt étre prâts. Note coérbat, courbé par l’âge çhainnè, penché, incliné ---- Ecouter la chronique lue par Bernard Chapuis

Il faut le temps

Après avoir purgé une peine de vingt ans à Bochuz, il retourne dans sa ville natale. Il y retrouve son ancienne maison à l’abandon. Sa rue a bien changé. C’est tout juste s’il s’y reconnaît. Oui, elle a bien changé depuis son entrée au pénitencier. Le café Aux trois poissons n’existe plus. Il a été remplacé par une pharmacie. L’école enfantine tenue autrefois par des religieuses a fermé ses portes. Comme la poste. Les étiquettes des boîtes aux lettres portent des noms inconnus. « Pourtant, je suis d’ ici, c’est ma ville, ma rue, avec ma maison. » En revanche, à côté de sa maison, l’échoppe du cordonnier est toujours là, des souliers dans la vitrine. L’ancien détenu jette un coup d’œil par la porte vitrée. C’est le même artisan, celui qu’il a connu autrefois, à peine un peu plus courbé par l’âge. Il se souvient alors qu’il lui avait confié une paire de chaussures de ville à ressemeler. Il entre. - Bonjour, dit-il au cordonnier penché sur son travail. Vous ne vous souvenez pas de moi ? Il y a vingt ans, je vous ai laissé une paire de souliers de ville à réparer. Vous les avez toujours ? - Ça se peut. Attendez ! Le savetier disparaît dans l’arrière-boutique, il déplace des cartons. Cela dure. - Comment sont-ils, ces souliers ? - Ils sont noirs, ils ont des lacets et le bout pointu. C’est du quarante-trois. - Voilà, je les ai retrouvés. Je n’ai pas encore eu le temps de m’en occuper. Repassez la semaine prochaine. Samedi en huit, ils devraient être prêts.