Publié : 6 novembre 2020

Jugement dernier

Drie djudg’ment

Bernard Chapuis

Publié dans le Quotidien Jurassien le 6 novembre 2020

Drie djudg’ment

Tiaind qu’ l’Eulalie ât moûe, le Fériole, son hanne, é fait ç’ qu’ è faiyait, ran d’ pus. Lai mâsse d’enterr’ment feut cheûyèe des quaitre hoûres en lai Biantche-Croux. Èl é faiyu qu’ le tiurie ïnsichteuche po lai mâsse de septieme. L’Eulalie était ènne boénne dgen. Le Fériole èt l’Eulalie s’entendïnt chu tot safe chu lai religion. Èlle pratityait sains étre bédyïnne, bïn qu’èlle feuche di tiers-oûedre. Èlle ne râtait pe d’ faire le bïn atoé d’ lée. Lu âchi faisait le bïn, mains è n’ pratityait pe. È se dyait mâcraiyaint. Ço qu’è n’ l’empâtchait pe d’aivoi les moyous raipports d’aivô l’ tiurie. Ès aivïnt de londyes convèrsachions ensoénne. C’était quaitre snainnes aiprés l’enterr’ment. Le Fériole écouvait d’vaint l’hôtâ. Pésse le tiurie : - Dites, Fériole, voili ïn mois qu’ l’Eulalie nôs é tyittie. Vôs lai v’lèz faire dire çte mâsse de trentieme ? È m’pairât qu’ ç’ât l’ grant môment. - Oûyietes-me, M’sieur l’ Tiurie, que répond le Fériole, Dûe ât ïn djudge que n’ trïnne pe. Mai fanne ât aivu djudjèe tot comptant, chitôt moûe. Se l’Eulalie ât en enfie, ço que m’émaiy’rait cment qu’i lai coégnâs, nôs n’ poéyans pus ran po lée. S’èlle ât â pairaidis, cment qu’i l’échpére, les mâsses ne yi sèrvirant è ran. Èt peus s’èlle ât â peurgatoire, ç’ât qu’è yi d’moérè dous trâs fâtes è échpyiaie. Le Bon Dûe lai coégnât meus qu’ nôs. Léchans-Le faire ! Notes lai mâsse de septieme, la messe du septième jour, la plus proche de l’enterrement lai mâsse de trentieme, la messe du septième jour, un mois après l’enterrement ---- Ecouter la chronique lue par Bernard Chapuis

Jugement dernier

Quand Eulalie mourut, Féréole, son mari, fit ce qu’il fallait, rien de plus. La messe d’enterrement fut suivie des quatre heures à la Croix-Blanche. Il fallut que le curé insiste pour la messe de septième. Eulalie était une brave personne. Le couple Féréole s’entendait sur tout sauf sur la religion. Elle pratiquait sans bigoterie, bien qu’elle fût du tiers-ordre. Elle multipliait les bonnes actions. Lui aussi faisait le bien, mais il ne pratiquait pas. Il s’affichait libre-penseur. Ce qu’il ne l’empêchait pas d’entretenir les meilleurs rapports avec le curé. Ils avaient ensemble de longues conversations. C’était quatre semaines après l’enterrement. Féréole balayait devant la maison. Passe le curé : - Dites, Féréole, voilà un mois qu’Eulalie nous a quittés. Vous la voulez faire dire cette messe de trentième ? Il me semble que c’est le grand moment. - Écoutez-moi, Monsieur le Curé, répond Férérole, Dieu est un juge qui ne traîne pas. Ma femme a été jugée tout de suite après son décès. Si Eulalie est en enfer, ce qui m’étonnerait comme je la connais, nous ne pouvons plus rien pour elle. Si elle est au paradis, comme je l’espère, les messes ne lui serviront à rien. Et puis, si elle est au purgatoire, c’est qu’il lui reste quelques péchés à expier. Le Bon Dieu la connaît mieux que nous. Laissons-Le faire !