Par : Fleury LJ
Publié : 19 février 2011

Conte sage pour de bleus enfants

Sadge fôle po des bieus afaints

Bernard Chapuis

Sadge fôle po des bieus afaints

---- Ecouter Bernard Chapuis
---- Chire Rossignolat ainmaît les aiméres. Chire Rossignolat ainmaît les condgies. Chire Rossignolat aivaît ïn gros boûetchat d’aiméres â moitan de son tieutchi. Chire Rossignolat aivaît ïn gros boquat de condgies â moitan de son tchâtemps. Èt peus cment èl ainmaît brâment viaidgie di temps de ses condgies di tchâtemps, èt peus que ses condgies tchoyïnt en lai vnainne â temps des aiméres, è s’ trovaît tchéque an dvaint lo meinme sôleinne tchoi : ou bïn eurnonçaie è paitchi ou bïn eurnonçaie en ses aiméres. Les aibcheinces de Chire Rossignolat fesïnt lai djoûe des mièles et des véjïns que s’entendïnt cment des varans po tchoère chus lo boûetchat èt peus voulaie lés biates bèes, che bïn qu’è son rtoé, Chire Rossignolat ne trovaît pus que des quoûes satches. Chire Rossignolat avaît ènne tçhaive. À fond de lai tçhaive, ènne snaîdge poûetche, fonjue dains lo noi, bayâit chus ïn snaidge égraîyon. Çt’égraîyon condujaît en ènne doujieme tçhaive, dôs lai premiere. De çte tçhaive d’aivâ paitchâit ïn coulou que moénaît en ènne bâme que Chire Rossignolat cognéchaît d’pa lu. Lai michtérieûje bâme était embretchoyèe poi tot ïn bataclan, des churpregnainnes aiffaires que Chire Rossignolat avaît paîj’ment raiméssèes â long de ses voéyaidges di tchâtemps. An y trovaît mâçhè ïn cèrvé de lai Hâte-Égypte d’aivô ïn heurson chatchi de Tchevenèz, ïn piranha dains ïn bocâ d’avô ènne maîtchoûere de tchvâ, ènne fyûte creujnèe dains ïn tibia d’avô ïn hieûtchou étraînnè. Chus ïn tablard, dains lo poussat, tos lés chcrèts di Gros èt peus di Ptèt l’Albért. Dains d’épâs livrats toiyès, Chire Rossignolat avaît ïnchcrit ço qu’èl aivaît décreuvi èt peus lo mnu de sés chïndiulieres éproves. Él en était en son tçhïnzieme dochie. An dvijaît dains çte tçhaivierne - que diaîle ! - ailambics èt peus pieumes Bic, éprovattes èt peus tiuvattes, teubes, botoyattes, panmades, pement braquè, poussrat de deints, miedges de tchïn ou bïn de rnaîd, chmiere de youtre ou bïn de boérêt. I en airôs po djuqu’en ci soi è graiyie l’aitelie de çt’ébâbéchaint dotoé Rossignolat. Tiaind qu’è s’héjaîdgeaît d’y déchendre - aidé lai neut èt peus en coitchatte – èl enflaît sai noire véture èt peus chlè téte sai cape en pitçhe. I lo sais d’ènne tchavétchri que boûeléjene cés yûes défenjus. Po eurveni és aiméres, lo boûetchat framaît ïn carrê de çïntçhe dgeaimbèes poi çïntçhe. Cobïn de potats de confreture Chire Rossignolat airait faîts che les mièles et les véjïns y en airïnt léchi quéques-yènnes ! Ét peus des sirops èt peus des mâçhaidges, èt peus d’lai gnôle çhaire èt srïnne. De voûere que tchâtemps aiprés tchâtemps, sés aiméres, an lés yi voulaît sains vargoingne finit poi le fotre en graingne. È conchultaît lo Grand l’Albert, lo Ptèt l’Albert èt peus ses livrats toilès. Ai foûeche de raicoédgèye èt peus de chneûquries, de djâbyeries et de prayieres, èl indg’nié ïn yitçhide qu’èl étiaibeuchaît chus les aiméries. Lo prôdut n’était p’véjibye. È se pôjaît en pieuvnatte chus les çhiyés à poéne èsmencèes. Èl eurnovlaît son traivayie en lai moitan de mé, dvaint que d’paitchi po Ènentchâlaivou. Les fruts maivurïnt cment tchéque an èt peus n’manquïnpent d’aitçhmeudre foûetchment les chmarotsous di coénat, bétes èt dgens mâçhès. Tiaind què rvenié, en fïn de juïn, il eût do quoi se rédjoui. Son prochédè avaît marchi. Son végïn était bieu, lai fanne de son végïn était bieuve, yos afaints étaient bieus. Lés végïns de son végïn étaient bieus, et bieuves yos fannes èt yos afaints. Èt peus bieus les mièles ch’lo toèt, et les pésslèts, les étoénés, bieuves les yemaices èt bieuves les cocréyattes. Chire Rossignolat froingné ènne boussratte entre lo voi d’lai grïngne èt lo roudge d’lai raidge. Yevaint les eûyeys â bieu cîele, è s’étchvainté di bieu soroiye, è se raibaboéné pô ai pô. È saivaît enfïn tiu que rodâyaît en son tieutchi. : les véjïns , les oûejés, les yemaices èt peus les cocréyattes, lo cîele èt peus lo soroiye. En tiu se fie, dâ mitnaint ? C’étaient yos, les lâdres. Èl en aivaît lai preuve en bieu. È fayaît embrûe sains çhaîlaince. Grev’yie ? Ne ran grev’yie ? Chire Rossignolat musaît dvaint son mirou. C’était un endjâtci mirou, tot chu, mains âchi yutïn, cment poéyant l’étre quéques mirous que musant pus que d’âtres. È diaît des côps des musattes qu’an n’aittendaît p’, cment quéques mirous qu’an aivâne. Chire Rossignolat musaît. Lo mirou musaît. Èt peus dains lo voirre - poétchaint lachi – pairét lo tot bieu visaidge d’ïn Chire Rossignolat enraidgi. Dïnche aidon, lo prôdut ai rantiujaie, l’aitiujou des èrpinous, ne l’avaît p’ménaidgi. Èl était pris en piein dains ses lais. « Crénom de bieu ! » qu’è breûyé. Peus è s’ât raissoèdgi pô ai pô, chôrit djâne èt peus se dit piein de saidgence : - I n’ai p’aivu d’ aiméres, mains i ai t’aivu des condgies. Lai vie ât bèlle, qu diaile ! È cheûffât de lai voûere en bieu. {Ci Tchaipu d’Poétreintru} ---- Conte sage pour les enfants bleus Monsieur Rossignol aimait les framboises. Monsieur Rossignol aimait les vacances. Monsieur Rossignol avait un grand masssif de framboises au coeur de son jardin. Monsieur Rossignol avait un grand bouquet de vacances au coeur de son été. Et comme il aimait beaucoup voyager pendant ses vacances d’été, et que ses vacances tombaient régulièrement à l’époque des framboises, il se trouvait chaque année devant le même choix douloureux : ou renoncer à partir ou renoncer à ses framboises. Les absences de Monsieur Rossignol faisaient la joie des merles et des voisins qui s’entendaient à merveille pour tomber sur le massif et faire main basse sur les baies mûres, si bien qu’à son retour, Monsieur Rossignol ne trouvait plus que des pédoncules séchés. Monsieur Rossignol avait une cave. Au fond de la cave, une porte secrète, fondue dans le sombre et tapissée de toiles d’araignées, donnait sur un escalier secret. Cet escalier conduisait à une deuxième cave, sous la première. De cette sous-cave partait un couloir menant à une grotte que seul Monsieur Rossignol connaissait. La mystérieuse grotte était encombrée d’objets curieux et disparates que Monsieur Rossignol avait patiemment collectionnés au cours de ses voyages d’été. On y trouvait pêle-mêle un crâne de la Haute-Égypte à côté d’un hérisson séché de Chevenez, un piranha dans un bocal à côté d’une mâchoire de cheval, une flûte en tibia percé avec une chouette empaillé. Sur un rayon, dans la poussière, les secrets complets du Grand et du Petit Albert. Dans d’épais cahiers toilés, Monsieur Rossignol avait consigné ses découvertes personnelles et le menu de ses étranges expériences. Il en était à son quinzième dossier. On devinait dans cet antre – que diantre – alambics et pointes Bic, éprouvettes et cuvettes, tubes, flacons, fioles, onguents, piment broyé, poudre de dents, crottes de chien et de renard, graisse de loutre et de canard. J’en aurais pour jusqu’à ce soir à décrire le laboratoire du troublant Docteur Rossignol. Quand d’aventure il s’y rendait – toujours de nuit et en secret – il revêtait sa robe noire et coiffait son bonnet pointu. Je le tiens d’une chauve-souris qui hante ces lieux défendus. Pour en revenir aux framboises, le massif formait un carré de cinq enjambées sur cinq. Que de potets de confiture Monsieur Rossignol aurait faits si les merles et les voisins lui en avaient laissé quelques-unes ! Et des sirops et des mixtures, et de l’eau-de-vie claire et pure ! De voir qu’été après été on les lui chipait sans vergogne finit par le mettre en rogne. Il consulta le Grand Albert, le Petit Albert et ses cahiers toilés. A force d’étude et de recherches, d’expériences et d’invocations, il mit au point une potion qu’il vaporisa sur les framboisiers. Le produit était invisible. Il se posa en fine bruine sur les fleurs à peine fécondées. Il renouvela l’opération vers la mi-mai, avant son départ pour Outre-Horizon. Les fruits mûrirent comme chaque année et ne manquèrent pas d’exercer leur irrésistible attrait sur les pillards des environs, bêtes et gens indistinctement. Quand il revint, vers la fin juin, il eut de quoi se réjouir. Son procédé avait marché. Son voisin était bleu, la femme de son voisin était bleue, leurs enfants étaient bleus. Les voisins de son voisin étaient bleus, et bleus leurs femmes et leurs enfants. Et bleus les merles sur le toit, et les moineaux, les étourneaux, bleues les limaces et bleus les escargots. Monsieur Rossignol hésita un instant entre le vert de la colère et le rouge de la fureur. Levant les yeux vers le ciel bleu, il s’étonna du soleil bleu, il se raisonna peu à peu. Il savait enfin qui chapardait en son jardin : les voisins, les oiseaux, les limaces et les escargots, le ciel et le soleil. A qui se fier, désormais ? C’étaient eux, les voleurs. Il en avait la preuve par bleu. Il fallait réagir sans faiblesse. Que faire ? Que ne pas faire ? Monsieur Rossignol réfléchit devant son miroir. C’était un miroir magique, assurément, mais aussi espiègle, comme peuvent l’être certains miroirs qui réfléchissent plus que d’autres. Il avait parfois des réflexions inattendues, comme certains miroirs qu’on vexe. Monsieur Rossignol réfléchissait. Le miroir réfléchissait. Et dans la glace - polie, portant - apparut le portrait tout bleu d’un Monsieur Rossignol furieux. Ainsi, le produit à trahir, le révélateur de maraudeurs, ne l’avait pas épargné. Il était pris à son propre piège. « Nom de bleu ! » cria-t-il. Puis il se calma peu à peu, sourit jaune et se dit philosophiquement : - Je n’ai pas eu de framboises, mais j’ai eu des vacances. La vie est belle, allons ! Il suffit de la voir en bleu. {Bernard Chapuis}