Publié : 31 août 2020

L’épouvantail

L’aimboîye

Bernard Chapuis

Publié dans le Quotidien Jurassien le 31 juillet 2020

L’aimboîye

- Vôs n’èz ran oûyi çte neût, Mad’leinne ? - Chié, Berthe. I aî oûyi ïn côp d’ fûe. I m’ seus d’maindè tyu que fétait le premie d’ôt aivaint les âtres. - C’était mon hanne, l’Ulysse. Èls aivïnt l’ Consèye hyie â soi. I m’seus dit : Ès v’lant fini â cabairèt. I aî di temps d’vaint moi. I aivôs s’mè des raivoénats. Les pèss’rèts m’aivïnt tot maindgie les grainnes. Ah, ç’ât dïnche, qu’i m’ seus dit. I m’en veus drassie ènne amboîye â moitan di tçheutchi. Nôs v’lans bïn voûere se les oûjés airaint encoé le tyulot de v’ni les bacquaie. I çhoule dous laittes en croux, i enfile dechus ènne véye tiulatte de mon hanne, ïn corsaidge qu’i n’ bote pus, èt peus tot enson le tchaipé d’ mai bèlle-mére. Raivoéte voûere, Berthe, èlle é di djèt çt’emboîye. Aiprès çoli, i aî encoé fait mon r’péssaidge. È soénnait mineût tiaind qu’i m’ seus coutchie. È poéne endremie, i feus révoiyie poi des breûyèts. C’était cés di Consèye que rentrïnt. Mon Ulysse déchendait lai gasse en tchaintaint. È s’ râte d’vaint le tçheutchi. È raivoéte çt’aimboîye. È crie c’ment tiaind qu’è posait lai dyaidge â sèrvice : « Tiu ât-ce qu’ât poi li ? » È vai tçh’ri son feusil d’ tchaisse, è breûye encoé dous côps : « Tiu ât-ce qu’ât poi li ? » È s’ coitche drie les greg’nieres, s’ bote è crepéchon, è vije çt’aimboîye. Pan ! I déchends les égraîes en tch’mije de neût, i euvre lai poûetche èt i d’vije mon andoéye d’Ulysse drie les greg’nieres. « Miedge, qu’è m’ dit, i craiyôs aivoi aiffére en ïn mâfétou. Ç’ât toi qu’és piaintè çt’ amboiye â moitan di tçheutchi ? » - Gros pieinteusse, qu’i yi fais, râte ton num’rô èt peus vïns â yét. Notes ènne amboîye, n.f, un épouvantail des raivoénats, en français régional des ravonnets, variété de radis les greg’nieres, les goseilliers ïn mâfétou, un malfaiteur ---- Ecouter la chronique lue par Bernard Chapuis

L’épouvantail

- Vous n’avez rien entendu cette nuit, Madeleine ? - Si, Berthe. J’ai entendu un coup de feu. Je me suis demandé qui fêtait le premier d’août avant les autres. - C’était mon homme, Ulysse. Ils avaient le Conseil hier soir. Je me suis dit : Ils vont finir au café. J’ai du temps devant moi. J’avais semé des ravonnets. Les moineaux m’avaient mangé toutes les graines. Ah, c’est comme ça, que je me suis dit. Je m’en vais dresser un épouvantail au milieu du jardin. Nous verrons bien si les oiseaux auront encore le culot de venir les picorer. Je cloue deux lattes en croix, j’enfile par dessus un pantalon de mon homme, un corsage que je ne mets plus, et tout en haut le chapeau de ma belle-mère. Regarde-le, Berthe, il a de l’allure cet épouvantail. Après ça, j’ai encore fait mon repassage. Il sonnait minuit quand je me suis couchée. Â peine endormie, j’ai été réveillée par des éclats de voix. C’était ceux du Conseil qui rentraient. Mon Ulysse descendait la ruelle en chantant. Il s’arrête devant le potager et regarde cet épouvantail. Il crie comme quand il posait la garde au service militaire : « Qui va là ? » Il va chercher son fusil de chasse, il crie encore à deux reprises : « Qui va là ? » Il se cache derrière les groseilliers, s’accroupit, il vise l’épouvantail. Pan ! Je descends l’escalier en chemise de nuit, j’ouvre la porte et je devine mon andouille d’Ulysse derrière les groseilliers. « Merde, qu’il me dit, je croyais avoir affaire à un malfaiteur. C’est toi qui as planté cet épouvantail au milieu du jardin ? » - Poivrot, arrête ton numéro et va te coucher !