Publié : 5 juin 2020

Le dit du pétrin

Lai fôle de lai mé

Bernard Chapuis

Publié dans le Quotidien Jurassien le 5 juin 2020

Lai fôle de lai mé

Le Djosèt des Neus-Prés se dyait qu’è près de cïntyante ans, èl était po lu grant temps de sondgie â mairiaidge s’è v’lait aivoi des hèrties. Èl aivait des étius, d’lai tiere, ènne bèlle fèrme. Peu d’ tieusain po trovaie ènne fanne. Mains cment faire le bon tchoix ? È drassé ènne lichte d’ènne vingtaine de noms. En lai fïn, è y en d’moérè dous. È déchidé d’ les éprovaie. D’vaint que d’ se rendre tchie lai sédûejainne Madelon, è s’était emballè lai main gâtche po faire è craire en ïn aiccreutche. - Mon Dûe, qu’ât-ce que t’és fait, Djosèt ? - I m’ seus fotu ïn métchaint côp d’ sierpe ch’ le peuce. Mains ne t’en fais pe po moi. An dit qu’è fât étendre d’ lai pâte ch’ lai biaissure. - Te peus en aivoi taint qu’ te veus. Lai mé n’ât dj’mais nottayie. Defeu, le Djosèt tchaimpé lai pâte dains ïn boûechèt èt s’en feut soénnaie tchie lai Célina. - D’ lai pâte, i t’en bèy’ros bïn v’lantie, dyé çtée-ci. Mains è m’en encrât, i n’en aî pe. - T’és poétchaint fait â foué ci maitïn. - Ô, cment tos les vardis. Mains aiprés, i aî nottayie lai mé èt tos les inchtruments. Raivoéte ! Le dûemoéne, di hât d’ lai tchaïre, le tiurie ainnoncé : « È y é promèche de mairiaidge entre le Djosèt des Neus-Prés èt lai Célina di Crât. Çtu que coégnétrait ïn empâch’ment ât t’ni d’ m’ le faire è saivoi. » Note T’és fait â foué, littéralement “tu as fait au four”, tu as cuit ton pain. ---- Ecouter la chronique lue par Bernard Chapuis

Le dit du pétrin

Joseph des Prés-Neufs se disait qu’à près de cinquante ans, il était grand temps pour lui de songer au mariage s’il voulait avoir des héritiers. Il avait des écus, de la terre, une belle ferme. Pas de problème pour trouver une femme. Dès lors comment faire le bon choix ? Il établit une liste d’une vingtaine de candidates. A la fin, il en restait deux qu’il décida de mettre à l’épreuve. Avant de se rendre chez la séduisante Madelon, il s’était emballé la main gauche pour faire croire à un accident. - Mon Dieu, qu’est-ce que tu as fait, Joseph ? - Je me suis flanqué un méchant coup de serpe sur le pouce. Mais ne t’en fais pas pour moi. On dit qu’il faut étendre de la pâte sur la blessure. - Tu peux en avoir autant que tu veux. Le pétrin n’est jamais nettoyé. Une fois dehors, Joseph lança la pâte dans un buisson et s’en fut sonner chez Célina. - De la pâte, je t’en donnerais volontiers, dit celle-ci. Mais je suis désolée, je n’en ai pas. - Tu as pourtant cuit du pain ce matin. - Oui, comme tous les vendredis. Et après j’ai nettoyé le pétrin et tous les instruments. Regarde ! Le dimanche, du haut de la chaire, le curé annonça : “Il y a promesse de mariage entre Joseph des Prés-Neufs et Célina du Crêt. Celui qui connaîtrait un empêchement est tenu de me le faire savoir.”