Publié : 16 janvier 2020

La cerise

Lai ç’liege

Jean-Marie Moine, Arc Hebdo janvier 2020

Lai ç’liege

L’hichtoire qu’ i veus vôs contaie âdjd’heû s’ ât péssè è Mont’gnez, è y’ é bïn grant. C’ était di temps d’ lai d’riere mondiâ dyierre. Mon pére était bïn chur mob’yijè. Dâli, ç’ ât mon grant-pére que daivait moinnaie â meu les aiffaires de nôte petéte fèrme. Bïn chur que tus les âtres dgens d’ lai mâjon f’sïnt tot yôte pôchibye po y’ aippoétchaie lai moyou l’ éde. Ïn djoué qu’ nôs allïns d’ lai sen d’ lai « Piaintche és soudaîts » (ç’ ât ïn yûedit di fïnnaidge, d’ lai sen di Mont R’naud), po foénaie ènne pran, nôs trovainnent ènne ç’lieje ch’le baid di tch’mïn. Mon grant-pére me dié : « Tiais, Djeain, raimésse ç’te ç’lieje ». Ïn pô ébâbi, i froingné pe i raiméssé lai ç’lieje pe lai bèyé en mon grant-pére. « Maindge-lai, pe aittends ïn pô, i aî rébiè âtçhe en l’ hôtâ » qu’ è m’ dié. Tiaind qu’ è r’venié, nôs allainnes en nôte pran pe nôs ècmen-çainnes le traivaiye. Lu soiyait, pe moi, i étenjôs l’hierbe po qu’èlle satcheuche meu. Vés les dieches, nôs s’sietainnes pe mon grand-pére prenié l’ lô qu’ él était aivu tchri en l’ hôtâ, en r’tirait les ç’liejes yènne è yènne, pe les tchaimpait poi tiere. Moi, l’ échtomaic dains les tailos, i m’ béchôs tchétçhe côp po pâre lai ç’lieje poi tiere d’vaint d’ lai maindgie. Tiaind qu’ le lô feut â quât veûd, è m’ dié : « Te vois, Djeain, djemais peûri n’ é bon temps ! » Pe è m’ bèyé l’ lô piein de ç’liejes és trâs quâts. Oh ! Âye ! qu’ i y’ réponjé, i aî bïn compris lai y’çon. Vôs comprentes poquoi i seus taint aivu aittaitchie en ci mârvoiyou grant-pére. C’était ïn hanne que saivait ç’ qu’ è v’lait. Èl aivait d’ lai pungne, mais âchi brâment de s’né po pâre ènne déchijion pe po lai faire è aippyiquaie. I dirôs v’lantie qu’ èl aivait ènne main d’ fie dains ïn gaint de v’loué. Sains récoure sai faiçon d’ se musaie, è saivait convaintçhre son ôyuattou, di bïn-b’néè d’ses aivisâles. Tiaind qu’ mit’naint, i m’ muje en lu, i n’ sais p’ c’ment le r’mè-chiaie po tot ç’ qu’ è m’ é aippoétchè. L’ hichtoire de ç’te mâlhèy’rouje ç’lieje n’ ât ran qu’ ïn tot p’tét moéché de tot ç’ qu’ è m’ é ïntçhiultçhè. Ch’ le bainc d’vaint l’hôtâ, è m’ aippregnait è yére : i y’ yéjôs l’ Paiyis. È m’ échquepyiquait totes ces compyiquèes tchôjes d’ lai ch’con-de mondiâ dyiere. È me f’sait è compâre le r’dicuye de chèrtannes tchôjes : lai frontiere entre Coéchèlles pe Mont’gnez, qu’ des vaitches des dous v’laidges aivïnt déjaiyibrement traivoi-chie. Sains lu, i n’ compârôs p’ le patois, pe i n’ le sairôs p’ djâsaie. Chér grant-pére, po çoli, i te r’mèchie di fond di tiûere, pe i aittends d’ te r’trovaie …bïntôt li-d’tchus. Mains pe trop tôt, tot d’ meinme ! J.-M. Moine

La cerise

L’histoire que je vais vous raconter aujourd’hui s’est passée à Montignez il y a bien longtemps. C’était du temps de la dernière guerre mondiale. Mon père était bien sûr mobilisé. Alors, c’est mon grand-père qui devait mener au mieux les affaires de notre petite ferme. Bien sûr que tous les autres gens de la maison faisaient tout leur possible pour lui apporter la meilleure aide. Un jour que nous allions du côté de la « Planche aux soldats » (c’est un lieudit du finage dans la direction du Mont Renaud), nous trouvâmes une cerise sur le bord du chemin. Mon grand-père me dit : « Tiens, Jean, ramasse cette cerise ». Un peu étonné, j’hésitai, puis je ramassai cette cerise et je la donnai à mon grand-père. « Mange-la, et attends un peu, j’ai oublié quelque chose à la maison » me dit-il. Quand il revint, nous nous rendîmes à notre pré, et nous commençâmes notre travail. Lui fauchait, et moi j’étendais l’herbe pour qu’elle sèche mieux. Vers dix heures, nous nous assîmes et mon grand-père prit le cornet qu’il avait été chercher à la maison, en retirait les cerises une à une, et les jetait par terre. Moi, l’estomac dans les talons, je me baissais chaque fois pour prendre la cerise par terre avant de la manger. Quand le cornet fut vide au quart vide, il me dit : « Tu vois, Jean, jamais paresseux n’a bon temps ! » Puis il me donna le cornet plein de cerises aux trois quarts. Oh !Oui ! que je lui répondis, j’ai bien compris la leçon. Vous comprenez pourquoi j’ai tant été attaché à ce merveilleux grand-père. C’était un homme qui savait ce qu’il voulait. Il avait de la poigne, mais aussi beaucoup de bon sens pour prendre une décision et pour la faire appliquer. Je dirais volontiers qu’il avait une main de fer dans un gant de velours. Sans imposer sa manière de penser, il savait convaincre son auditeur du bien-fondé de ses idées. Quand maintenant, je pense à lui, je ne sais pas comment le remercier pour tout ce qu’il m’a apporté. L’histoire de cette malheureuse cerise n’est qu’un tout petit morceau de tout ce qu’il m’a inculqué. Sur le banc, devant la maison, il m’apprenait à lire : je lui lisais le Pays. Il m’expliquait toutes ces choses compliquées de la seconde guerre mondiale. Il me faisait comprendre le ridicule de certaines choses : la frontière entre Courcelles et Montignez, que des vaches des deux villages avaient délibérément traversée. Sans lui, je ne comprendrais pas le patois, je ne saurais pas le parler : cher grand-père, pour cela, je te remercie du fond du cœur, et j’attends de te retrouver… bientôt là-haut. Mais pas trop tôt tout de même ! J.-M. Moine