Par : Fleury LJ
Publié : 4 septembre 2010

Les Paniers et autres poèmes, Raspieler

Les Paniers

Une publication des Paniers de Raspieler ---- Consulter aussi L’étude littéraire sur quelques poésies en patois de l’Ancien Evêché de Bâle Cette étude est suivie par le poème{{ Les paniers, du Curé Raspieler.}} ----
Les Paniers ou Vertugadins Poème populaire en patois par F. Raspieler I Historique de l’œuvre Au début du 20e siècle, la Société Suisse des Traditions populaires éditait chaque trimestre une revue intitulée « Archives Suisses des Traditions Populaires » sous la direction conjointe de MM Hoffmann-Krayer de Bâle et Jeanjaquet de Berne. La première livraison du poème de F. Raspieler a été imprimée à Zurich en 1904. Une autre livraison, sous la même direction et chez le même imprimeur, date de 1905. Quant à la 3e livraison, datée de 1906, elle a été dirigée par le même Hoffmann-Krayer de Bâle pour la partie allemande, et par Maxime Reymond de Lausanne pour la partie romane. L’impression a été réalisée à Bâle. A noter toutefois que le poème « Les Paniers » a été édité une première fois en 1849 sous les auspices de la Société Jurassienne d’Emulation, tandis que le manuscrit original date de 1736. II Composition de l’ouvrage présenté L’ouvrage qui vous est présenté ici est composé d’extraits tirés des trois revues énoncées ci-dessus. Les trois extraits en cause ont été reliés pour constituer un livre unique qui réunit les trois versions complètes du poème en patois de Ferdinand Raspieler, Curé de Couroux, que celui-ci a écrit en 1736, soulignons-le. • Le premier extrait, rédigé en patois de Besançon et traduit en français, est intitulé non pas « Les Paniers » mais « L’arrivée d’une dame en l’autre monde habillée en panier ». • La rédaction patoise dite « de Besançon » serait d’un certain Jean-Claude Bizot de Besançon. Elle a été écrite par Bizot en 1735 et comprend 525 vers. • Le second extrait, qui porte le même intitulé, « Arrivée … panier », est écrit en vers patois de Cornat (quatier de Courroux). Il comprend une transcription phonétique et une traduction française (557 vers). • Le troisième extrait ou troisième publication est toujours intitulé « Arrivée … panier ». Ce serait le princeps, la version première de l’auteur ; c’était un manuscrit qui ne comportait pas moins de 755 vers au lieu des 525 vers de la version dite « de Besançon ». Traduit en français, c’est, à mes yeux, le plus complet et le plus intéressant, le premier jet écrit par l’Abbé, sans corrections ni censures. III Présentation du poème de F. Raspieler C’est un poème écrit tout entier en alexandrins et à rimes binaires : la rime du second vers s’accorde toujours avec celle du vers précédent : numéros des vers Ne s’opposeront-on pè à torrent inkemode 1 De cés lairges pennies que nos feurnit lai mode 2 Pour la compréhension de ce long poème qui se veut une exhortation à la vertu (des femmes …), nous retiendrons les extraits suivants qui explicitent le thème traité par l’auteur : S’il se faut mettre à table ou aux bancs d’une église 5 Il n’y a place que pour ces affreux paniers … 6 Je les défie d’entrer dans les portes de grange … 8 (Elles) demeurent longtemps accroupies sur leurs culs 11 Avant qu’on ait envie de s’élancer dessus … 12 J’ai avant-hier rencontré deux dames du pays 43 Qui s’en allaient vagabondant tantôt ci, tantôt là 44 Si elles sont de Porrentruy, vraiment je n’en sais rien ;  45 Elles sentaient diablement la lavure et le manger des porcs  46 Ou bien de Delémont, je ne vous en dirai rien, 47 Mais des excréments de porc, elles avaient l’odeur ; 48 Qu’elles sont de St-Ursanne, on peut le conjecturer ; 49 Au moins c’est des ânesses, elles portaient des paniers … 50 Elle était poudrée, frisée, je croyais tout de bon 75 Que c’était un chien barbet, ou le cul d’un oison 76 Enveloppé de nœuds, d’un si large panier 77 Qu’entrant dans les bancs, elle montrait son derrière … 78 Mais Dieu, qui déteste les modes et vanités, 85 Tout le long étendue la fait culbuter … 86 Il n’y a queue de docteur qui la puisse guérir … 113 Elle a déjà le râle : elle part pour l’autre vie … 120 De la Sainte-Cité (elle) va frapper à la porte … 125 Pierre dit « Ouvrons-lui, du moins rien que pour voir … 134 Entrez, madame, entrez, j’en suis plus que content … 147 Elle ne put s’introduire dans un porche si étroit … 153 « Guam augusta porta quae vitam ducit » (Math.7) 162 Saint Pierre tout d’un coup lui ferme la porte au nez … 163 Elle s’en va culbutant au palais de Pluton … 170 Mais voici arrivé des diables le principal … 187 Sur la place, aux fenêtres, aux maisons, à l’église 205 On ne voit que petites dames et filles se démener … 206 Elles ne pensent qu’aux plaisirs, aux jeux, à faire l’amour … 207 Elles ne s’entretiennent que d’amourettes … 225 Elles ont inventé des habits qui nous profitent bien ; 229 Elles les nomment paniers ou bien vertugadins … 230 Cette mode est un manteau pour abriter le vice … 240 Bien fou qui va fouiner dessous ces puants paniers 260 Car ce qui est dedans sent la merde et l’urine 261 Encore qu’elles soient déflorées, elles se dressent comme des cierges 262 Qu’on jugerait qu’elles sont des onze mille vierges … 263 Beaucoup qui les croient pucelles de prime abord 266 Reconnaissent finalement qu’il faut lécher l’évier … 267 Et si les confesseurs les reprennent (elles) murmurent : 346 Peuh ! c’est une bagatelle ! autant en emporte le vent … 347 Ce diable était si gros qu’il en valait bien deux ; … 370 Il te lui va griffer les bouteilles à lait … 372 Ses tétons dardaient le sang par les deux bouts … 374 Que les diables après toi se mettent en besogne, 430 Et qu’il y en ait autant autour de ta charogne 431 Qu’il faudrait de fourmis pour traîner Porrentruy 432 Outre le Voyebeux jusqu’à Courtemautruy, 433 Ou bien de cirons pour mener Delémont 434 Au bout de la montagne de Courroux ou Chaumont ! … 435 Vous voici donc madame, autrefois si jolie … 486 La nuit au rendez-vous, aux bals, aux mascarades … 504 C’était votre plaisir de paraître peau nue … 514 Vous montriez vos épaules et vos tétons, merde, fi donc … 516 Et il n’y a queue d’homme qui n’ait eu le malheur 522 D’obtenir de vous les dernières faveurs … 523 Madame on vous fera griller, rôtir et frire. 545 Vos modes et vos plaisirs n’ont pas duré longtemps ; 546 C’est maintenant qu’il faut pleurer vos ris d’antan. 547 Vous avez tant profité du tempus ridendi, (temps de rire) 548 Qu’il faut repayer par le tempus flendi … (temps de pleurer) 549 Il va prendre un tisonnier, la roule par terre, la bat 596 Sur les seins, sur le dos, de revient et de reva … 597 Elle est toujours débraillée, cette belle guenippe ; 670 Prends ces deux gros crapauds, plaque-les sur ses tripes ; 671 Elle montrait ses tétons ; prends ce couteau à poinçon ; 672 Effile-les lui tout de suite comme des mouchets de fouet … 673 Dévêts-la toute nue : ce n’est rien qu’elle défaille … 676 Sur ce gros gril fais-lui griller les flancs … 679 Renverse-la tout bas et ensuite traîne-la 690 Sur le dos, sur les seins, la panse, l’estomac 691 Dans ce lieu pavé de lames de couteaux, 692 De rasoirs, de canifs et de pointes d’épées … 693 Ouvre-lui le gosier, vitement verses-y 700 De grosses pochées (de plomb, soufre et poix-résine) … 701 Voilà la vilaine fin des modes et des paniers … 706 Aiduë, aiduë pennie ! Les vendanges sont faites (vers final) 755 IV Ferdinand Raspieler, un auteur moraliste ? et moralisateur ? L’Abbé Raspieler n’a retenu de l’étude de la Bible que l’existence d’un Dieu cruel, celui de l’Ancien Testament. Il n’y a pas de pardon possible à ses yeux, même s’agissant d’une « Marie-Madeleine » contrite et repentante. Il nous décrit seulement un Dieu vengeur, comme si le Christ, Dieu d’Amour, ne s’était incarné parmi les hommes pour les racheter. Il y a, chez l’auteur des Paniers, de forts relents de jansénisme. De misogynie aussi, qu’on peut attribuer au devoir de chasteté à laquelle tout prêtre catholique est soumis. Cela dit, on ne peut s’empêcher d’avoir à l’esprit l’idée qu’il a pu pécher en pensée … quand il décrit, par le menu, les appâts de la femme en panier et les charmes interdits de la femme dénudée … On est par ailleurs étonné de relever, dans l’œuvre de l’Abbé, des expressions hardies, des mots crus et osés tels que : foutre, tétons, queue d’homme, merde cul … Mais il fait montre aussi d’une certaine culture littéraire en faisant référence à Molière dont il reprend plusieurs fois quelques vers. Or, bien qu’il s’agisse d’un auteur classique, les œuvres de Molière ont longtemps été reléguées à l’Index par l’Eglise. En contrepoint des faiblesses et des libertés d’esprit … et de plume qu’on relève dans les écrits versifiés du Curé de Courroux, son poème abonde en locutions latines qui sont autant de citations et de maximes empruntées aux Saintes Ecritures. Elles nous rappellent sans ménagement. A nos devoirs de chrétien par exemple : Averte faciam tuam a muliere comptâ (Eccl. 9 v.8) Détourne ton visage de la femme parée Corrumpunt mores bonos colloquia mala (1. Cor. 15) Les mauvaises conversations corrompent les bonnes mœurs Mulieres non in tortis crinibus vel veste pretiosa (Tim. 2 v.9) Que les femmes ne se parent point de cheveux tressés ni de vêtements précieux Virga et correctio tribuit sapientiam La verge et la correstion procurent la sagesse (Prov. 29) Quis poterit habitare cum igni devorante ? (Luc 16 v.25) Qui pourra rester dans ce feu dévorant ? etc., etc. F. Raspieler, un moraliste ? Assurément, à l’instar du fabuliste La Fontaine. « Les Paniers » une œuvre moralisatrice ? C’est discutable. Sans doute le fut-elle en son temps et en ces lieux. V Conclusion Cet exposé n’apprendra rien de bien nouveau aux habitants du Jura catholique pour lequel Les Paniers font partie de la tradition nationale jurassienne. A noter pourtant que l’ouvrage présenté offre l’avantage d’être assorti de nombreux commentaires, de précieux glossaires, voire même d’une transcription phonétique, complétée par l’indication du système de cette transcription. On ne peut plus résister au plaisir de citer Arthur Rossat qui a fait l’étude critique et commentée des trois versions du poème populaire « Les Paniers ». Il écrit en effet : « … Nous possédons là un monument des plus précieux pour l’étude du patois vâdais du XVIIIè siècle. Ce poème de 750 vers est une œuvre de longue haleine, un miroir fidèle de la langue si énergique et si colorée de nos ancêtres : en ce moment surtout où nos vieux idiomes sont l’objet des minutieuses recherches et des patientes investigations des romanistes, c’est une vraie bonne fortune pour nous de posséder un texte de ce développement, qui permet d’étudier à fond la phonétique, la morphologie et la philologie de notre vieux patois jurassien ». En guise de clin d’œil à ce village qui nous accueille aujourd’hui, signalons que dans les notes explicatives qui suivant le poème, on trouve mention de M. l’Abbé Bindy, né en 1838, curé de Courchapoix, prêtre vénéré qui fut aussi un fervent patoisant. Pour terminer, j’ai plaisir à offrir l’ouvrage que nous venons d’explorer à notre Maître érudit, le professeur Jean-Marie Moine, auteur de glossaires patois-français et français-patois qui font autorité. Je le dédie aussi à tous les amis du Voiyïn. Vous tous saurez en faire le meilleur usage pour l’honneur et la sauvegarde de notre beau patois. A Courchapoix, en ce jour de l’Annonciation à Marie, le 25 mars 2006 Henry TOURNIER S.E.O. Eric Matthey •