Publié : 1er juin 2018

Il a su lui parler

Èl é saivu yi djâsaie

Bernard Chapuis

Publié dans le Quotidien Jurassien le 1 juin 2018

Èl é saivu yi djâsaie

Dâ lai neût des temps, lai Fin de Pratchie aipppairtenyait en lai meinme faimille. Des dgén’râchions l’ aivïnt r’touénè, ensemencè, y aivïnt fait les voyïns, sayie l’ biè, l’aivoènne, raimméssè les pommattes èt les bett’raves. C’était ènne croûye tiere que n’ vâyait p’ le mâ qu’èlle bèyait. Le Virgile qu’ l’aivait hèrtè grotait è poènne à neurri ses quaitre petèts l’afaints. Tiaind qu’èl avait payie ses dettes, è n’yi rèchtait piepe ïn sô d’ènne sens. È feut sôle de dïnche trimaie, tchâtemps c’ment huvie. Èl é botè son bïn ch’ lai feuille èt peus èl é tot liquidè. È n’é voidgie que dous vaitches po l’ laissé, sai fanne quéques dgerènnes po les ûes. Aiprès, è s’ât botaie è tçhri di traivaiye. Des piaices, è n’y en aivait dyère. C’était lai crije. Èl é fini poi s’ faire embauchaie és foués è tchâx è Sïnt-Ochanne. È toutchait ènne paye de mijére ; des côps, èl aivait l’aigrie d’ son ptèt train d’ payisain. Le cirque s’était ïnchtallè è Poérreintru laivou qu’è y é des écôles mit’naint. Le Virgile s’ât dit : « I poérrôs y allaie d’aivô les afaints. Ç’ât l’ djoué d’lai paiye. I peus yô eûffri ïn ptèt piaiji po ïn côp. » È y aivait ïn num’ro d’aivô ïn éléphant Le drassou v’lait l’ faire è s’ sietaie, mais lai grosse béte f’sait nian nian d’ lai trompe. Vôs peutes bïn s’ musaie qu’ c’était tot di chiquè. -- I bèye ènne bèlle récompense en çtu que grote è l’ faire se sietaie, breûye le drassou. Le Virgile rite ch’ lai pichte, djâse en l’aroiye de l’éléphant èt çtu-ci se siete tot comptant. -- Ç’ât d’ lai dgenâtch’rie ! dit le drassou. Çoli, i n’ l’ai encoé dj’mais vu. Vôs èz ïn ch’crèt o bïn quoi ? Qu’ât-ce que vôs yi èz dit en çt’éléphant ? -- I yi ai dit cobïn i dyaingne és foués è tchâx, èt peus èl ât droit tchoé ch’ le tiu. ---- Ecouter la chronique lue par Bernard Chapuis

Il a su lui parler

Depuis la nuit des temps, le domaine de Pratchie appartenait à la même famille. Des générations l’avaient retourné, ensemencé, y avaient fait les regains, fauché le blé, l’avoine, récolté pommes de terre et betteraves. C’était une terre ingrate qui ne valait pas le mal qu’elle donnait. Virgile qui l’avait héritée parvenait à peine à nourrir ses petiots. Quand il avait payé ses dettes, il ne lui restait pas un sou d’économie. Il en eut assez de trimer de la sorte, été comme hiver. Il mit une annonce sur le journal et vendit tout son bien. Il ne garda que deux vaches pour le lait, sa femme quelques poules pour les œufs. Puis il se mit en quête de travail. Des places, il n’y en avait guère en cette période de crise. Il finit par se faire embaucher aux fours à chaux à Saint-Ursanne. Il touchait une paye de misère. Il en venait à regretter son petit train de paysan. Le cirque s’était installé à Porrentruy, là où se trouvent des écoles maintenant. Virgile se dit : « Je pourrais y aller avec les enfants. C’est jour de paye. Je peux leur offrir un petit plaisir pour une fois. » Au programme, il y avait un numéro avec un éléphant. Le dresseur ne parvenait pas à le faire asseoir. C’était chiqué, comme bien vous pensez. -- Je donne une belle récompense à celui qui réussit à le faire s’asseoir ! hurle le dresseur. Virgile se précipite sur la piste, parle dans l’oreille du pachyderme, et celui-ci s’assied aussitôt. -- C’est de la sorcellerie ! dit le dresseur. Ça alors, je ne l’ai encore jamais vu. Vous avez un secret ou quoi ? Qu’est-ce que vous lui avez dit à cet éléphant ? -- Je lui ai dit combien je gagne aux fours à chaux, et il est tombé sur le cul.