Par : Fleury LJ
Publié : 23 septembre 2014

Les trois femmes de Pierrot

Les trâs fannes di Pierat

Jean-Marie Moine

Paru dans Arc Hebdo le 21 août 2014

Les trâs fannes di Pierat

Tchie nôs, dains l’Jura, les vinte, vinte-cïntche ans qu’ aint cheuyè lai d’riere dyierre, sont aivu ènne bouss’ratte prou aissoèdge. È s’ fayait nenttayie l’ échprit de totes ces édjaiches qu’ lai dyierre nôs aivait empoûejie. En lai frontiere, è fayait chutôt r’ nouquaie les layïns d’ aimitie daivô nôs frainçais l’ aimis. Quâsi tos les dûemoinnes, ces d’ Mont’gnez allïnt è pie dire bondjoué en des dgens d’ Coéchèlles, de Çhoérimont,… Les Frainçais, yôs, v’gnïnt en Suisse po pâre des novèlles. Ç’ ât dains ci temps-li qn’ nôs ains coégnu l’ Pierat d’ Coéchèl-les. È v’niait â café daivô sai faimille, p’ èl aivait di piaîji d’ raicontaie lai tchaince qu’ èl aivait. Èl était trop djûene, di temps d’ lai dyierre, po étre soudaît. Vés les annèes cïnquante, èl aivait mairiè lai Mairia. Dous l’ ans aiprés, èls eunent ïn premier afaint, ci Dgeoûerdges. C’ment qu’ dains tos les ménaidges, lai Mairia pe l’ Pierat s’ trovïnt totes soûetches de douçats noms : mai bitchatte, mon p’tét youp, …Mains, ïn afaint, ç’ n’ était p’ prou. Dâli, l’ Pierat tchaindgé le p’tét nom d’ sai fanne, è l’ aipp’lé Aidéle. Trâs ans pus taîd, voili qu’ ènne petéte Yâdine tchoiyé â monde. L’ boûebat pe lai baîch’natte rempiâchainnent lai mâjon d’ bonhèye. Ïn djoué, note Pierat s’ mujé qu’ ch’ è tchaindgeait encoé ïn côp le p’tét nom d’sai fanne, èl airait chur’ment encoé ïn âtre afaint. Ch’tot dit, ch’tôt fait, dâs mit’naint sai Mairia s’aippel’rait Phïnnatte. Ci p’tét djûe aimujait tot piein lai Mairia. En djanvie soichante-è-heûte, èlle boté â monde des trèpyès : ci Cadyi, ç’t’ Ugéne pe ç’te Zabèlle. Enfïn ènne bèlle, grôsse pe hèy’rouje faimille ! Mains, tiaind qu’ â mois de djuïn de ç’t’ annèe-li, lai radio ainnonché qu’ an breûyait dains lai vie, è Pairis, qu’ èl était envoidgè d’ envoidgeaie, pe qu’ le Pierat v’lait encoé ïn côp tchaindgie le p’tét nom d’ sai Mairia, ç’té-ci yi dié : è bïn ci côp, ç’ ât prou, ç’ ât moi qu’ veus tchaindgie d’ hanne ! An dichcutont foûe pe ch’vent âtoé d’ lai grôsse tâle d’ lai tieujainne. L’ temps péssé pe airraindgé les tchôjes. Finâment, l’ coupye déchidé saidg’ment de r’veni c’ment qu’ â bé temps d’ yôte mairiaidge. Lai Mairia r’trové son vrâ p’tét nom. Èlle aipp’lé son hanne nian pus Pierat, mains Nènès. Tot allé défïnmeu dains ç’te faimille. Mains ïn djoué, lai p’téte Zabèlle d’maindé en sai mére poquoi qu’ èlle aivait tchaindgie le p’tét nom d’ son papa. Lai Mairia l’ embraiché pe y’ réponjé : T’ yi d’maind’rés en ton pére tiaind qu’ è r’veré d’ lai tchairrue. J-M. Moine

Les trois femmes de Pierrot

Chez nous, dans le Jura, les vingt, vingt-cinq ans qui ont suivi la dernière guerre ont été une période assez calme. Il fallait se nettoyer l’esprit de toutes ces horreurs dont la guerre nous avait empoisonnés. A la frontière, il fallait surtout renouer les liens d’amitié avec nos amis français. Presque tous les dimanches, ceux de Montignez allaient à pied dire bonjour à des gens de Courcelles, de Florimont,… Les Français, eux, venaient en Suisse pour prendre des nouvelles. C’est dans ce temps-là que nous avons connu le Pierrot de Courcelles. Il venait au café avec sa famille, et il avait du plaisir à nous raconter la chance qu’il avait. Il était trop jeune, du temps de la guerre pour être soldat. Vers les années cinquante il avait épousé Maria. Deux ans après, ils eurent un premier enfant : Georges. Comme dans tous les ménages, Maria et Pierrot se trouvaient toutes sortes de noms très doux : ma bichette, mon petit loup,…Mais, un enfant, ce n’était pas assez. Alors, Pierrot changea le prénom de sa femme, il l’appela Adèle. Trois ans plus tard, voilà une petite Claudine qui vint au monde. Le garçonnet et la fillette remplirent la maison de bonheur. Un jour, Pierrot pensa que s’il changeait une nouvelle fois le prénom de sa femme, il aurait certainement encore un autre enfant. Aussitôt dit, aussitôt fait, dès maintenant, sa Maria s’appellerait Josephine. Ce petit jeu amusait beaucoup Marie. En janvier soixante-huit, elle accoucha de triplés : Camille, Eugène et Isabelle. Enfin une grande, belle et heureuse famille ! Mais, quand au mois de juin de cette année-là, la radio annonça qu’on criait dans la rue, à Paris, qu’il était interdit d’interdire, et que Pierrot désirait encore une fois changer le prénom de sa Maria, celle-ci lui dit : eh bien cette fois, c’est assez : c’est moi qui veux changer de mari ! On discuta fort et souvent autour de la grande table de la cuisine. Le temps passa et arrangea les choses. Finalement, le couple décida sagement de revenir comme au beau temps de leur mariage. Maria retrouva son vrai prénom. Elle appela son mari non plus Pierrot mais Ernest. Tout alla magnifiquement dans cette famille. Mais un jour, la petite Isabelle demanda à sa mère pourquoi elle avait changé le prénom de son papa. Maria l’embrassa et lui répondit : Tu le demanderas à ton père quand il reviendra de la charrue. J-M. Moine