Par : Fleury LJ
Publié : 11 décembre 2013

Deux monuments

Dous mounuments

Jean-Marie Moine

Paru dans Arc Hebdo, 5 décembre 2013

Dous mounuments

È y é ènne cïnquantainne d’ annèes, en lai d’mainde di tiurie di v’laidge, les djûenes dgens d’ Montgn’ez s’ étïnt botè â traivaiye po mâj’naie ç’ qu’ an aivait aipp’lè l’oréj’noûere des Rétchénes obïn lai Note-Daime des Rétchénes. Tchétçhun aivait fait ç’ qu’ è poéyait. Les yuns aivïnt tirie des pieres, d’ âtres aivïnt décopè les piaintches, les tirains. Ces qu’ aivïnt des tchies, des tchvâs, aivïnt aimoinnè tos ces nètérâs chus piaice, d’vaint les Rétchénes. Chértans étïnt aivu djainqu’ è Bonfô po tçhri des tieles. I me s’vïns qu’ nôs v’lïns tus épreuvaie t’ taiyie des pieres. Mains tiaind qu’ l’ écaçhou d’ pieres voyé totes ces p’téts meurdgies d’vaint nôs, è nôs oûerdanné d’ râtaie l’ maichaicre ! Les baîchattes, lées, nenttayïnt, pe aippoétchïnt lai nonne. Pe ché mois pus taîd, l’ évoingnouse de D’lémont piaiché sai Note Daime dains l’oréj’noûere. Mon grant-pére allé en f’maint sai pipe, djainqu’ en l’oréj’noûere. È s’ sieté chus yun des baincs de d’vaint l’ mounument, raivoété bïn tot âtoué, pe r’venié en l’ hôtâ. È m’ dié : vôs èz fait di bé traivail, çoli veut étre défïnmeu tiaind qu’ è y airé lai Sïnte Vierdge. Mains, qu’ i y’ réponjé, èlle y ât. È s’ aittendait è voûere ènne Vierdge c’ment ç’té d’ Lourdes daivô son biainc pe bieu mainté… I y’ échpyiqué qu’ c’ était ènne chculpture en bronje, daivô tot ènne sceînne : lai Vierdge poétchaint l’afaint Djésus, des aîbres, des étiureus, des oûejés… È rallé és Rétchénes, pe en r’venié tot hèy’rou d’aivoi tot bïn vu ; èl aivait meinme bèyie ïn p’tét côp d’ cainne â bisat (statue) po l’ ôyi réjoûenaie. L’ âtre djoué, en péssaint d’vaint l’ mounument d’ci Louyis Chevrolet, en lai Tchâ-d’Fonds, i m’ seus musé en mon grant-pére, qu’ airait, âdjd’heû, quâsi ceint cïnquante ans… Dains mes musattes, i l’ âi vu tchem’naie tot, tot bal’ment, en f’maint sai pipe, se sietaie chus ïn bainc po r’pâre son çhiouçhe pe raivoétie dains totes les sens. Pe è r’pregné son tch’mïn po r’veni en l’ hôtâ. Airrivè vés moi è m’ dié : i aî vu l’ mounument d’ ci Louyis Chevrolet d’ Bonfô. En tot câs è ryut, çoli fait quâsi mâ és eûyes. Ç’ ât grôs, çoli é daivu côtaie tchie. L’ chculptou é bïn point les breliçhes ; è n’ y é ran qu’ çoli qu’ an r’coégneuche. Aittendans qu’ èl aiveuche aiss’vi son traivaiye ; craibïn qu’ tiaind qu’ son ôvra s’ré fini, çoli veut étre âtçhe de pe trop mâ. Malhèyrouj’ment, mon grant-pére dichpairéché sains qu’i aiveuche le temps d’ yi dire qu’ ci moununent était èssev’ni. Saitchietes qu’ i seus tot piein daiccoûe daivô mon grant-pére ! J-M. Moine

Deux monuments

Il y a une cinquantaine d’années, à la demande du curé du village, les jeunes gens de Montignez s’étaient mis au travail pour construire ce qu’on avait appelé l’oratoire des Rèchennes ou la Notre Dame des Rèchennes. Chacun avait fait ce qu’il pouvait. Les uns avaient tiré des pierres, d’autres avaient découpé les planches, les poutres. Ceux qui avaient des chars, des chevaux, avaient amené tous ces matériaux sur place, devant les Rèchennes. Certains étaient allés jusqu’à Bonfol pour chercher des tuiles. Je me souviens que nous voulions tous essayer de tailler des pierres. Mais quand le tailleur de pierres vit tous ces petits tas de pierres devant nous, il nous ordonna de cesser le massacre ! Les filles, elles, nettoyaient, et apportaient le goûter. Et six mois plus tard, l’artiste de Delémont plaça sa Notre Dame dans l’oratoire. Mon grand-père alla en fumant sa pipe jusqu’à l’oratoire. Il s’assit sur l’un des bancs de devant le monument, regarda bien tout autour, et revint à la maison. Il me dit : vous avez fait du beau travail, ce sera très beau quand il y aura la Sainte Vierge. Mais lui répondis-je, elle y est. Il s’attendait à voir une Vierge comme celle de Lourdes, avec son manteau bleu et blanc… Je lui expliquai que c’était une sculpture en bronze, avec toute une scène : la Vierge portant l’enfant Jésus, des arbres, des écureuils, des oiseaux… Il retourna aux Réchennes, et en revint tout heureux d’avoir bien vu ; il avait même donné un petit coup de canne à la statue pour l’entendre résonner. L’autre jour, en passant devant le monument de Louis Chevrolet, à La Chaux-de-Fonds, j’ai songé à mon grand-père, qui aurait, aujourd’hui presque cent cinquante ans. En rêve, je l’ai vu cheminer tout, tout doucement en fumant sa pipe, s’asseoir sur un banc pour reprendre son souffle et regarder de tous les côtés. Puis il reprit son chemin pour venir à la maison. Arrivé vers moi il me dit : j’ai vu le monument de Louis Chevrolet de Bonfol. En tout cas, il reluit, cela fait presque mal aux yeux. C’est gros, cela a dû coûter cher. Le sculpteur a bien réussi les lunettes ; il n’y a que cela qu’on reconnaisse. Attendons qu’il ait terminé son travail ; peut-être que quand son oeuvre sera finie, ce sera quelque chose de pas trop mal. Malheureusement, mon grand-père disparut sans que j’eusse le temps de lui dire que ce monument était achevé. Sachez que je suis tout à fait d’accord avec mon grand-père ! J-M. Moine