Par : Fleury LJ
Publié : 21 août 2009

le déclin

Décrâ

Bernard Chapuis

Décrâ

Décrâ, B, Chapuis, 101002
Décrâ, B, Chapuis, 101002
En v’niaint véye, an pie. Ç’ât ènne coètche faiçon de dire lai véyaince. En v’niaint véye, an pie ses pois, ses dents, sai pipe, ses breliçhes. An pie son tch’mïn, sai çhaie, lai mémoûere, l’peûtou . Piedre, çoli ne fait p’ mâ èt peus çoli bèye bïn s’vent des tçhelèes chituâchions. Yun aivaît predju l’aivijoûere des hoûeres èt peus des séjons. È preniait son dédjûnon lo soi èt peus èl était tot ébâbi qu’è n’y euche de noi â tchâtemps. In âtre se predjait â long de sai mâjon. En ces boènnes dgens que le raimoénïnt è l’hôtâ, è yôs diait : D’vaint tchie nos, è y é ïn tch’mïn que vire èt peus è y é des autos que péssant. Pus çhai te n’troves pes ! È y aivait âchi ci véye copou. Lai neût, è pregnait sai tchaimbre po ïn bôs èt pe les moubyes po des aîbres. È se ryeuvaît po pichie contre les pies de son yét. S’èl aivait aivu ènne haitchatte, vos peutes imaîdginaie ci cairnaidge. Piedre, çoli s’voit dains les aiffairattes. An tchoit dains lai rébiaince, aidé pus s’vent, èt peus ïn bé djoué an ât dôbat po tot d’bon. È nos è fayu brâment di temps po trévoûere que ç’t’Euphrasie predjait. Qu’ât-ce qu’é révoyie les chibyats ? Ç’ât c’que nos vlans vos raicontaie mit’naint. L’Euphrasie aivait dj’ péssè les nonante èt peus èlle vétyait pai lée dains son sai p’téte mâjnatte. Èlle tenyait son ménaidge d’aivô bïn di tieûsin. Aidé bïn vétie èt toûedje youcatte, èlle allait feû tos les djoués po faire ses aitchèts èt peus po rtrovaie les dgens. C’était ènne petète fanne tote satche, que riait aidé et que n’aivait p’ sai langue dains sai baigatte. Cment totes les véyes dgens, èlle ne manquait p’ ïn entierrment. Tochu qu’c’était po s’fotre d’lai moûe que soiye âtoué èt peus â long d’nos mains que nos léche encoè vétiyaints. C’était âchi po se seuvni qu’lai vie ât coétche èt peus qu’è fât aidé étre prât po ci grand dépaît. Ènne vâprèe, en lai demé des dous, i l’aî churprise tote chiquèe po allaie defeûs. Èlle aivait botè sai noire véture. Son tchaipé è voèle était à câre d’lai tâle, daivô son livre de mâsse èt peus son tchaipelat. Â long d’ses soulaies bïn ryuaints è y aivait encoé lai broche èt peus le ciraidge. - Yè, l’Euphrasie, an s’en vait, dâli ? - S’an veut. I vais en l’entierrment. - De tiu ? - Mains, d’lai Tchielée. Te l’sais bïn. - Oh bïn moi, les entierrments, i n’y ritte peus, èt peus i n’aicmence dj’mais lai feuye d’aivô les moûes. I n’saivôs p’qu’lai Tchielée était moûe. Çte Tchielée, c’était ènne véye baichatte, ènne bïnhèyrouse qu’était aidé â môtie. An dyait qu’èlle n’était dj’mais aivu feû, qu’èlle était dmoérèe â vlaidge tote sai vie. Çte poûere dgen ne s’trovait bïn que tchie lée. - Qu’ât-ce qu’vos dîtes ? Lai Tchielée ât moûe ? I n’ le saivôs p’, Euphrasie. - Te n’és p’ ouyi sannaie le trépâs ? Mains ô, çte Tchielée ât moûe. Âdj’d’heû ç’ât lée, demain ç’ât moi. Èt peus toi que te crais aluè, te vais y péssaie cment ïn âtre. - Èt peus ç’ât âdj’d’heû qu’an l’entierre ? - Lai mâsse ât és dous, èl é dj’ fri l’premie côp. - Eh bïn, i n’veux p’vos r’tairdaie. - Mains entre pie. I seus prâte. I n’aî qu’è botaie mes soulaies èt peus mon tchaipé. Le môtie ât tot prés. Li-dechus, l’Euphrasie me voiche ïn p’tét Malaga, èt peus nos se sons botès è djâsaie. Voili que soènne le drie cop d’lai mâsse. - Ci côp, i vos léche, è soènne, qu’i y dis en m’yevaint po paitchi. - Eh o, tïns, è soènne. Qu’ât-ce qu’è peut bïn soènnaie ? - Mais, lai mâsse. Lai mâsse d’entierrment. - Quél entierrment ? - Yai paidé, l’entierrment de la Tchielée. - Quoi, qu’ât-ce te baidgeles ? Lai Tchielée ât moûe ? Eh bïn, voili di nové. Tochu, l’Euphrasie predjait. Bernard Chapuis Déclin, Yane ----

Déclin

Avec l’âge, on perd. Cruel laconisme pour exprimer la décrépitude. L’âge venant, on perd ses cheveux, ses dents, sa pipe, ses lunettes. On perd son chemin, sa clé, la mémoire, l’appétit. Perdre est indolore et provoque parfois des situations cocasses. Un tel avait perdu la notion du temps et des saisons, prenait son petit déjeuner le soir et s’étonnait de l’absence de neige en juillet. Un autre s’égarait à deux pas de chez lui. Aux personnes charitables qui le remenaient à la maison, il indiquait : « Devant chez moi, il y a une rue qui tourne et des voitures qui passent. » On ne saurait être plus précis. Et cet ancien bûcheron qui, la nuit, prenait sa chambre pour la forêt et les meubles pour des arbres. Il pissait copieusement au pied de son lit. S’il avait eu une hache, je vous laisse imaginer le carnage. Perdre s’observe dans les petites choses. Oublis mineurs, discrets, anodins, mais qui vont se répétant jusqu’à l’affirmation de la sénilité. On mit long à s’apercevoir qu’Euphrasie perdait. Qu’est-ce qui éveilla les soupçons ? C’est justement l’objet de notre récit. A quatre-vingts ans passés, Euphrasie vivait seule dans son appartement qu’elle entretenait avec soin. Coquette et vive, elle sortait chaque jour faire ses emplettes et rencontrer les gens. Petite femme toute en nerfs et toute en os, souriante et pleine de répartie. Comme les personnes de son âge qui ont bravé les ans, elle fréquentait les enterrements. L’occasion de narguer la mort qui fauche autour de nous tout en nous épargnant. L’occasion de se rappeler la fragilité de l’existence et se préparer au grand départ. Un après-midi, vers une heure et demie, je surprends Euphrasie prête à sortir. Elle a revêtu sa robe sombre. Son chapeau à voilette est sur un coin de table, avec missel et chapelet. A côté d’une paire de chaussures astiquées, on peut encore voir la brosse et le cirage. -- Alors, Euphrasie, on est de sortie ? -- Si on peut dire. Je vais à l’enterrement. -- L’enterrement de qui ? -- Mais, de la Chézelle, tu sais bien. -- Moi, les enterrements ne sont pas mon rayon et je ne commence pas la lecture du journal par les avis mortuaires. La mort de la Chézelle m’avait donc échappé. La Chézelle, une douce vieille fille, innocente et dévote, dont on affirmait qu’elle n’avait jamais quitté le village. Elle ne se trouvait bien que chez elle. -- La Chézelle est morte ? Vous me l’apprenez, Euphrasie. -- Tu n’as pas entendu sonner l’agonie ? Mais oui, la Chézelle est morte. Aujourd’hui c’est elle, demain c’est moi. Et toi qui fais ton malin, tu y passeras comme un autre. -- Et on l’enterre aujourd’hui ? -- La messe est à deux heures, il a déjà sonné le premier. -- Dans ce cas, je ne veux pas vous mettre en retard. -- Entre. Entre seulement. Je suis prête. Je n’ai qu’à enfiler mes souliers et mettre mon chapeau. L’église n’est qu’à deux pas. Là-dessus, Euphrasie me verse un petit malaga, et nous voilà bavardant lorsque sonne le dernier coup de la messe. -- Cette fois, je vous laisse, dis-je en me levant pour prendre congé. Il sonne. -- Eh oui, tiens, il sonne. Qu’est-ce qu’il peut bien sonner ? -- Mais... la messe. La messe d’enterrement. -- Quel enterrement ? -- Eh pardi, l’enterrement de la Chézelle. -- Quoi, qu’est-ce que tu me racontes ? La Chézelle est morte ? Eh bien, en voilà des nouvelles ! Nul doute, Euphrasie {perdait}. {Bernard Chapuis Façon de voir, Ed.du Démocrate 1991, p 105.}