Par : Fleury LJ
Publié : 31 décembre 2011

Patois franco-provençal

L’ours de la baume

Intervention du Voiyïn à l’anniversaire de la SJE

L’or d’la bome

Texte en patois d’Orvin d’Alfred et de Pierre Léchot Lu par Joël Rillot Version 1
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L’or d’la bome

Texte en patois d’Orvin d’Alfred et de pierre Léchot Lu par Joël Rillot Version 2
---- L’ouét d’lai bâme Traduction en patois ajoulot de L’or de la baume par Jean-Marie Moine Lu par Jean-Marie Moine
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Les textes

{{en français, patois d’Orvin et patois de Montignez}}

L’ours de la grotte

Il y a des gens qui étaient venus de l’autre côté du lac pour habiter, défricher et cultiver les terres du petit vallon qui se trouve au pied du Chasseral. Vers le ruisseau, côté bise de la colline du Cheut, ils commencèrent donc de bâtir quelques maisons. Le village, en s’étendant, prenait la forme d’une croix, dont le centre s’appelait le Coin. Personne m’avait encore songé à donner un nom au village. C’était une si grosse affaire qu’on décida d’attendre pour choisir. Ce printemps-là, il faisait encore froid. La neige ne voulait pas partir. L’hiver avait duré longtemps. Les oiseaux ne trouvaient plus rien à manger et ils venaient jusque dans les granges pour se mettre à l’abri du mauvais temps. On se demandait ce que devenaient les bêtes, dans les forêts, telles que lièvres, chevreuils et coqs de bruyère. Les loups et les renards s’approchaient aussi jusque près des maisons ; les blaireaux même n’étaient plus autant peureux. Il avait fallu que les hommes fassent la chasse aux bêtes sauvages qui venaient prendre les poules, et même les chiens dans leurs niches. On avait tué des loups, des sangliers, des blaireaux, des renards et même des ours. Ce qui tourmentait les gens, c’était précisément de savoir qu’il y avait là-haut, presque au-haut des Roches, un gros ours dont on disait que, quand il était debout sur ses pattes de derrière, il avait trois mètres de haut, et il faisait peur à chacun lorsqu’il venait dans les champs prendre des chèvres et des moutons. Malgré la neige de cet hiver, rien ne l’avait empêché de venir rôder aux alentours du village. Maintenant que le printemps était là, il fallait chercher comment on pourrait venir à bout de le détruire. Les champs entre le ruisseau et les roches n’étaient pas tels qu’ils sont aujourd’hui. Ce n’était pas complètement défriché et il y avait encore des buissons, des grosses pierres et des tas de cailloux. Tout cela n’était pas commode pour se défendre contre l’ours, s’il revenait pendant qu’on travaillait. En réfléchissant à tout ceci, quatre jeunes gens courageux décidèrent d’aller attaquer et tuer l’ours dans sa caverne. C’étaient quatre frères que l’on ne connaissait que par les surnoms que leur père leur avait donnés, un soir d’hiver qu’ils se trouvaient sur le fourneau. Il avait dit, en regardant ses garçons : « Nous avons sept beaux gros renards derrière notre fourneau » , jeu de mot qui faisait connaître les surnoms des quatre : le Sè (le Sec), le Bèye (le Beau), le Grâ (le Gras) et le R’nâ (le Renard). Ceux-ci parlèrent de leur projet d’aller tuer l’ours à Jean-Pierre du Coin, un jeune homme de leur âge, en l’invitant à les accompagner. Celui-ci fut vite décidé. Il fallait alors faire des armes. Chacun prendrait un solide gourdin, le Sè sa bonne coupeuse, le Grâ sa hache à main, les deux autres frères, l’un un sabre, l’autre une serpe. Jean-Pierre avait forgé et appointi un morceau de fer qu’il avait fiché dans le bout d’un fort manche de chêne. C’était comme une lance. Un matin de bonne heure, ils se mirent en route avec les chiens de Jean-Pierre et du Bèye. En ce temps-là, le chemin des Oeuches n’était pas construit et il fallait monter parmi les buissons et les pierres pour prendre le sentier des Roches. L’un derrière l’autre, ils commencèrent à grimper, en tournant à gauche pour passer le premier « rotcha », puis sur le deuxième. Il a alors fallu rechercher le chien de Jean-Pierre qui ne voulait plus avancer : il avait peur ! - Il a senti l’ours, dit le Sè En disant cela, il trébuche sur une souche et lâche sa coupeuse dans les feuilles. - Fais attention de ne pas tomber ! lui dit le Rnâ. En jurant, le Sè retrouve sa coupeuse émoussée entre deux pierres et la ramasse. Après quoi ils arrivèrent par un petit sentier sur le troisième « rotcha ». Arrivés là, ils quittèrent le sentier, pour aller sur la gauche. Il leur a alors fallu passer par dessus une grande roche parmi des arbres renversés et des buissons. A cette époque, on ne dévalait pas le bois en bas les roches et il restait sur place. Les branches mortes gênaient ainsi pour passer. Après bien du mal, les cinq hommes arrivèrent tout près de la « Bôme o l’or ». La caverne occupée par l’ours était très étroite ; la roche semblait fendue. Personne n’était encore allé jusqu’au fond. Les deux chiens, tenus en laisse jusque là, sont lâchés et sautèrent dans le trou, mais pour en ressortir immédiatement. Ce que voyant, Jean-Pierre dit : - Ils ont peur ! - Et toi, lui répond le Rnâ, si tu as aussi peur, dis-le ! - Non, non ! Attends seulement que l’ours vienne nous attaquer et tu verras ! - Ecoutez ! dit le Grâ. Je l’ai entendu gronder ! Aussitôt Jean-Pierre ordonna : - Mettez-vous deux d’un côté du trou et deux de l’autre. Moi je me placerai en face. Vous, le Sè et le Grâ, en frappant les premiers, essayez de lui crever les yeux ! A droite de l’entrée, il y avait une grande pierre ; le Sè se mit derrière. De l’autre côté, le Grâ taillait quelques branches dans un buisson de noisetiers pour n’être pas gêné pour frapper. Son sabre à la main, le Rnâ était appuyé quelques pas plus bas au tronc d’un pin. Le Bèye, pour aider ses frères, eut l’idée de grimper au-dessus de l’ouverture. Mais, parvenu là, il constata qu’il lui fallait se tenir à la roche. C’était trop dangereux et le Bèye pense que, s’il se retourne, il risque de tomber sur le dos de l’ours. Il n’y avait alors rien d’autre à faire que de revenir vers le Grâ. Les quatre ont maintenant chacun une bonne place pour attendre et frapper au bon moment. Les chiens jappaient, ce qui finit par décider l’ours à sortir. - Avez-vous entendu ce bruit ? dit Jean-Pierre. Le voici qui vient. Soyez sur vos gardes ! Il n’avait pas fini de parler que l’ours était presque dehors. Aussitôt les deux premiers frappèrent à coups d’hache sur la tête. L’ours saute en avant, donne un coup de patte au Grâ et lui déchire l’épaule. Les deux autres attaquèrent aussi. Le Rnâ lui planta son sabre dans le cou, si fort qu’il se rompit par la poignée. Avec un hurlement, l’animal se dressa sur ses pieds de derrière. Les hommes bondirent en arrière en prenant leur frère blessé pour le mettre derrière eux en sûreté. Jean-Pierre, qui était fort comme un taureau et qui attendait aussi depuis un moment pour attaquer, lui dit : - Ours viens ! Et il lui planta sa lance dans le ventre, presque de toute sa longueur. Le sang gicla si loin qu’ils en devinrent tout rouges. L’ours fit encore deux ou trois pas et se laissa tomber sur le côté. Les chasseurs regardaient en attendant. Il ne pouvait pas mourir et il mordait les pierres et râclait la roche avec ses griffes. Le chien du Bèye, qui s’était trop approché, fut tué d’un coup de patte. Enfin la tête de l’ours se laissa aller tout doucement ; il s’allongea sur les pierres et ne bougea plus. On enterra alors le chien sous un monceau de pierres. Bien que le Grâ fût blessé, ils étaient tout joyeux d’avoir pu tuer l’ours. Deux prirent l’ours pour le traîner en bas les roches. Et deux prirent le Grâ pour le porter à la maison. Après beaucoup de difficultés, on arriva au bas des Roches. On alla chercher un petit char sur lequel on conduisit l’ours au milieu du village où chacun s’en vint regarder et fêter les chasseurs qui étaient joyeux et contents. Le lendemain, dans le devant-huis de Jean-Pierre, la viande fut partagée entre tous les gens du village. Le Sè, qui comme de juste était aussi là pour bouchoyer, racontait la chasse et comment Jean-Pierre avait frappé la bête en lui disant : Or, vin ! Le vieil Abraham qui était là à écouter, dit comme ça : - Jean-pierre, tu as trouvé le nom qu’on pourrait donner au village. Qu’en dites-vous ? Chacun fut d’accord. C’est ainsi que depuis lors le village s’appela Orvin. Beaucoup plus tard, quand le temple fut construit où il se trouve maintenant, l’ours, Jean-Pierre avec sa lance et le mot qu’il avait dit (OR-VIN) furent sculptés sur le côté de la pierre creusée où le pasteur baptise. Vous pouvez aller encore aujourd’hui regarder, en songeant à la chasse à l’ours de la Bôme. {Alfred et Pierre Léchot. Actes de la Société jurassienne d’émulation, année 1952} ---- {{NOTES}} Le patois d’Orvin a été noté phonétiquement et le plus simplement possible pour en faciliter la lecture à tout intéressé. « Y » devant une autre voyelle a toujours un son mouillé, « euyivèr » par exemple se prononce comme « œil-verre ». Nous laissons en revanche l’orthographe habituelle pour les mots et formes français annexés par le patois, sauf s’ils devaient induire en erreur pour une liaison, par exemple. 1) Il s’agit du lac de Bienne. Cette locution ne prétend pas donner d’origine ethnique ou autre, elle signifie simplement : de fort loin . 2) La colline du Cheut domine le village d’Orvin au sue-ouest, entre les deux ruisseaux. 3) Le « Coin » est en effet la partie la plus ancienne du village. Les plus vieilles maisons, qu’on appelait « Les Sarrazins », y ont aussi leur légende. 4) La Bôme o l’or se trouve aux deux tiers de la hauteur des Roches d’Orvin, au-dessus du village. 5) Nos personnages ne sont naturellement pas les protagonistes originaux de la légende. Les quatre frères sont des personnages du siècle passé qui laissèrent des traces dans nombre de mémoires et qui nous semblent mériter de devenir figures de légende. Jean-Pierre du Coin et le vieil Abraham sont en revanche des noms que nous prêtons à nos personnages. 6) La légende et les armoiries d’Orvin veulent que l’arme du vainqueur de l’ours ait été un épieu. Le mot patois pour cette arme ne s’est pas conservé, s’il a existé. Une « copouse » est une hache de bon acier, toujours bien aiguisée, que tout habitant possédait pour les travaux de bûcheron. 7) Le chemin des Oeuches conduit du bas du village d’Orvin au pied du sentier des Roches. Nous n’ignorons pas que le sentier ne fut tracé que plus tard. 8) Il est très facile de voir dans les roches qui dominent le village les bancs successifs qui portent le non de « rotcha ». La dénomination usuelle de « premier, deuxième, etc., rotcha » permet aux gens du lieu de situer plus aisément les endroits précis dans les Roches.