Publié : 8 janvier 2019

Lettres galantes

Gailainnes lattres

Bernard Chapuis

{Il n’est pas bon que l’homme soit seul. (La Genèse)}

Gailainnes lattres

- Justin, te dairôs te r’mairiaie, que dyait not’ bon tiurie en ci vaf que n’ poéyait p’ churmontaie son tchaigrïn. Le temps n’ât pus qu’è faiyait réchpectaie ènne annèe d’ vavaidge. Sondge en tes dous baîchattes : è yôs manque ènne mére. Èt peus, t’és encoé djûene : è t’ manque ènne fanne. Mains laivou trovaie lai daimatte que tyïndrait l’ ménaidge, bâtch’rait le tieutchi, bèy’rait és dg’rènnes èt és laipïns, poétch’rait l’boire és poûes, nentay’rait les létans ? Laivou trovaie lai fanne qu’ainm’rait cment les sïnnes ces dous dôbattes, midjot’rait des boènnes sopes, étchâd’rait le yét, meûdrait l’ café tchéque maitïn po l’aimoé di bon Dûe èt les bés l’oeûyes di Djustïn ? Les fannes qu’ le prétre yi présenté, tchoijies aivô l’ pus gros tieusain pèrmè les moyouses bairoitchouses, Djustïn les é totes eurfujèes. - En vôs r’méchiaint, Chire. Ç’ n’ât p’encoé le môment. Lai deloûe ât trop frâtche. Piepe yènne de cées qu’ vôs prepôjez ne peut rempiaicie mai poûere Clémence. D’vaint son r’fus, le tiurie décidé d’ léchie faire le temps. Dûe, dains sai grante saidgence, sârait bïn éçhairaie Djustïn â djoué qu’è djudg’rait bon èt yi botaie chu sai vie ènne novèlle compaigne. Las-moi, lai lumiere di Cie taîtieutait èt peus ci trichte vaf vétçhait touedge tot d’ pai lu. Ïn bé maitïn, è trové dains sai boéte ènne lattre qu’allait tchaindgie sai vie. Ïn tyujïn d’ sai fanne l’ïnvitait po l’ baptême de yôte heûtieme afaint, ïn boûebat. En ci Justin çoli n’yi dyait pe trop. Ci tyujïn, è le coègnéchait è poène. Èt peus, c’était d’ l’âtre sens d’ lai frontiere. Tiu que voidg’rait les baichattes. Tiu qu’aiffoûetrait les bétes ? Le tiurie, recoégnu po son épiais, réglé tos les probyèmes. Les baîchattes péss’rïnt lai djouénèe en lai tiure. Ïn sèrvégeâle véjïn airait tieûsain des bétes. Djustïn s’ fsé tot bé po paitchi tchie ses tyujïns frainçais. È feut r’ci tchâlroujment. En lai tâle, an l’ boté â long d’ènne fanne de son aidge. Ès d’vijainnent tot l’ temps ensoènne. Lai fanne s’ïntèrèché brâment en lu. Cment qu’è d’vait seûffri sains fanne dôs son toét ! Quée vayaince ! Quél aittaitch’ment en sai compaigne paitchie trop tôt. Èlle était diaîchatte de tiure, mains èlle ne t’nyait pe è le d’moéraie djuqu’en la fïn d’ ses djoués. Çoli n’yi dépyairait p’ de s’mairiaie s’èlle trovait ïn hanne cment qu’è fât, maivuri, réj’nâbye, qu’an peut comptaie d’chus. Èlle yi fait promâttre de graiy’naie. È prômât. Djustïn était ïn hanne d’ lai tiere, que s’ sent meu d’aivô ènne pieutche que d’aivô ènne pieume. Ç’ât lée qu’è graiy’nè en premie. Djustïn daivait répondre. È r’bote â dûemoène, peus â dûemoène cheuyaint. « Çte fanne é di raicoédgeaige, qu’è musait. I n’ seus p’ inchtrut cment lée. I n’ai fait qu’ l’écôle di v’laidge. Po d’vijaie, çoli vai, mains po graiy’naie, nian, que nian, i fais piein d’ fâtes. I aî pavou qu’èlle me troveuche noérian. » È s’en feut en lai tiure. È s’ fât r’piaicie dains ci temps-li. An n’enviyait p’ de méssaidges cment mit’naint. Les laividjâses étïnt rais èt peus croûyes, è faiyait breûyaie d’dains. - I t’ veus prépairaie ïn brouillon, qu’ yi dit l’aibbé. T’ n’airés qu’è le r’copiaie. Léche-me çte lattre èt peus r’vïns d’adj’d’heû en heûte. Le tiurie m’né sai p’tète enquête. D’Hélène - c’était le ptèt nom d’ lai bèlle - , è n’oûyé que des éleudges. Aiprés son écôle tchie les soeurs, èlle s’était dévouèe po son pére, vaf lu âchi, d’vaint que d’ s’engaidgie en lai tiure. En pus, c’était ènne fanne chéduainne. Drèt ço qu’è fayait en ci Djustïn. Dains sai lattre, èlle djâsait di dénè d’ baptême, dyait tot l’ piaiji qu’èlle eut d’ faire lai coégnéchaince di Djustïn. « I échpére qu’ vôs étes bïn rentrè. Èt peus vos baîchattes, cment qu’èlles vaint ? Embraichietes-les d’ mai paît. I aittends d’ vos novelles. » Le tiurie, que graiy’nait en piaice di Justin dyé cobïn è feut seinsibye en sai lattre. È bèyé des novelles des baichattes. È se f’sait brament d’aimèe po yote aiv’ni, èl aivait pidie d’ ces oûerfenattes. È djâsé âchi d’ lai f’néjon. « I n’aî qu’ dous brais. S’â moins è y aivait ènne fanne en l’hôtâ. » En graiy’naint, le pidayaint tiurie s’ât pris â djûe. È feut toutchi. Pus d’ïn côp, les laîgres yi paitchïnt des l’oeûyes. Lai réponche d’ lai bèlle v’nié vite. Èlle compregnait, èlle pregnait paît, èlle aivait pidie. Ah, s’èlle n’était p’engaidgie en çte tiure. De lattre en lattre, not’ chire l’emmn’né à tytie son tiurie. Çtu-ci rtrov’rait aîgiement ènne âtre diaîchatte. « Vôs étes trop chcrupuyouse, tchiere Hélène. » Les lattres v’nyïnt aidé pus ençhaimèes, pus prechainnes. Mon Djustïn s’aippliquait è les rcopyaie ch’ lai tâle de lai tieujènne, di temps qu’ les baichattes f’sïnt yos yeuçons. Not’ tiurie ne feut dj’mais taint hèy’rou. È poéyait vivre ènne hichtoire d’aimoé, èt peus, di meinme côp, enyevaie ènne diaîchatte de tiure. Ènne sakeurdie de diail’rie è djûere en son confrére. L’étchaindge de lattres duré quasi ènne annèe. Ç’ât l’ temps di vavaidge. Tot é ènne fïn. En lai mé-careime, not’ tiurie eut lai grante djoûe d’ célébraie l’ mairiaidge Hélène èt Djustïn. Bernard Chapuis {Il n’est pas bon que l’homme soit seul. (La Genèse)}

Lettres galantes

Adaptation française - Justin, tu devrais te remarier, disait notre bon curé à ce veuf qui ne parvenait pas à surmonter son chagrin. Le temps n’est plus où il convenait d’observer une année de veuvage. Songe à tes deux filles : il leur manque une mère. Et puis, tu es encore jeune : il te manque une femme. Mais où trouver la fée qui tiendrait le ménage, bêcherait le jardin, donnerait aux poules et aux lapins, porterait les restes aux cochons, mettrait au sec les porcelets ? Où trouver la femme qui chérirait comme les siennes ces deux adolescentes évaporées, mijoterait de bonnes soupes, chaufferait le lit, moudrait le café chaque matin pour l’amour du bon Dieu et les beaux yeux de Justin ? Les femmes que le prêtre lui présenta, choisies avec le plus grand soin parmi les fines fleurs de ses paroissiennes, Justin les refusa toutes. - Je vous remercie, Monsieur le Curé. Ce n’est pas encore le moment. La douleur est trop fraîche. Aucune de celles que vous me proposez ne saurait remplacer ma pauvre Clémence. Devant son refus, le curé décida de laisser faire le temps. Dieu, dans sa grande sagesse, saurait bien éclairer Justin au jour qu’il jugerait bon et placer sur son chemin une nouvelle compagne. Hélas, la lumière céleste tardait à se manifester et le veuf affligé s’enfermait dans sa solitude. Un beau matin, il trouva dans son courrier une lettre qui allait changer le cours de sa vie. Un cousin de sa femme l’invitait pour le baptême de leur huitième enfant, un garçon. Justin eut d’abord envie de décliner l’invitation. Ce cousin par alliance, il le connaissait à peine. En outre, c’était de l’autre côté de la frontière. Qui garderait les filles ? Qui fourragerait le bétail ? Le curé, en habile négociateur, eut tôt fait de régler les problèmes. Les filles passeraient la journée à la cure. Un voisin serviable prendrait soin du bétail. Justin se fit tout beau pour partir chez ses cousins français. Il fut accueilli chaleureusement. A table,on le plaça à côté d’une femme de son âge. Ils eurent de longues conversations. La femme s’intéressa vivement à son cas. Comme il devait souffrir sans épouse sous son toit ! Quel courage ! Quelle fidélité à sa compagne partie trop tôt ! Elle était servante de cure, mais elle ne tenait pas à le rester jusqu’à la fin de ses jours. Elle serait certainement tentée par le mariage, encore faudrait-il qu’elle trouve un homme convenable, d’âge mûr, réfléchi, digne de confiance. Elle lui fait promettre d’écrire. Il promet. Justin était un homme de la terre, plus à l’aise avec une pioche qu’avec une plume. Elle écrivit la première. Justin se devait de répondre. Il remet à dimanche, puis au dimanche suivant. « Cette femme a des connaissances, pensait-il. Je ne suis pas aussi instruit qu’elle. Je n’ai suivi que l’école du village. Pour soutenir une conversation, cela peut aller, mais pour écrire, il n’en est pas question. Je fais trop de fautes. Je crains qu’elle ne découvre mon ignorance. » Il prit le chemin de la cure. Il convient de se situer dans le contexte de l’époque. On n’envoyait pas de messages comme aujourd’hui. Les téléphones étaient rares et de mauvaises qualité. Il fallait crier dans l’appareil. - Je vais te préparer un brouillon, lui dit l’abbé. Tu n’auras qu’à le recopier. Laisse-moi cette lettre et reviens dans une semaine. L’ecclésiastique mena sa petite enquête. D’Hélène - c’était le prénom de la belle - , il n’entendit que des éloges. Après sa scolarité chez les religieuses, elle se dévoua au service de son père, devenu veuf, lui aussi. Puis elle s’engagea à la cure. C’était une personne séduisante, exactement ce qu’il fallait à Justin. Dans sa lettre, elle évoquait le repas de baptême, soulignait le plaisir qu’elle eut de faire la connaissance de Justin. « J’espère que vous êtes bien rentré. Et vos filles, comment vont-elles ? Embrassez-les de ma part. J’attends de vos nouvelles. » L’homme d’Eglise, qui s’exprimait au nom de Justin, dit combien il avait été sensible à sa lettre. Il donna des nouvelles des filles. Il se faisait beaucoup de souci pour leur avenir, éprouvait une profonde compassion envers ces orphelines. Il parla aussi de la fenaison. « Je n’ai que deux bras. Si au moins il y avait une femme au foyer. » Au fil des lignes, le curé compatissant se prit au jeu. Il fut ému. Plus d’une fois, il eut la larme à l’œil. La réponse de la bonne de cure ne tarda guère. Elle comprenait, elle prenait part, elle était touchée. Ah, si elle n’était pas employée au presbytère .. Progressivement, l’épistolier l’exhortait à quitter son poste. Son patron retrouverait aisément une autre gouvernante. « Vos scrupules vous honorent, chère Hélène. » Les lettres se faisaient plus enflammées, plus pressantes. Justin s’appliquait à les recopier sur la table de la cuisine tandis que les gamines faisaient leurs devoirs. Notre curé ne fut jamais aussi heureux. Il lui était donné de vivre une histoire d’amour, et par la même occasion d’enlever une servante de cure. Une diablerie qu’il se plaisait à jouer à son confrère. La correspondance dura presque une année, l’espace du veuvage réglementaire. Tout a une fin. A la mi-carême, notre curé eut la profonde satisfaction célébrer le mariage d’Hélène et de Justin. . Bernard Chapuis