Publié : 15 novembre 2018

L’auto en hiver, quand on vivait au temps des saisons

Quand on vivait au temps des saisons

Madeleine Blanchard

Quand on vivait au temps des saisons

L’hiver est bientôt là. Sur la table de la cuisine, un petit paquet. Un papier d’emballage, que le père avait bien lissé avec la paume de sa main, une ficelle d’écurie – on ne jetait rien tant que cela pouvait encore servir -. Le père avec son porte-plume, sa belle écriture penchée en avant, avait écrit : Au bureau de la circulation du canton de Berne. Au commencement de l’hiver, on renvoyait les plaques de l’automobile qui ne possédait pas de chauffage, et aussi pas de pneus pour la neige. Le père disait : « Si le printemps vient tôt, je conduirai de nouveau l’automobile à Pâques ». Au village, plus d’une automobile était en hibernation. Il avait neigé. Les chevaux étaient attelés au triangle. Les enfants lugeaient sur la route ; du moment que les personnes âgées mettaient des chaussettes usagées sur les souliers pour ne pas glisser. On allait à la foire de Porrentruy au train des neuf heures, pour revenir à celui de 15 heures. Un train à vapeur avec des sièges en bois. Les enfants à midi dînaient à la soupe de l’école pour quatre sous. La guerre 39-45 était terminée depuis quatre ans. On allait de nouveau faire des commissions en Alsace toute proche, à Pfetterhouse. A pied, on s’enfilait dans la forêt de la Combe Guerri, puis la douane de Beurnevésin et celle de Pfetterhouse. A la quincaillerie Koppreiter le père achetait des vis, des clous, du mastic pour réparer les fenêtres. Ma sœur et puis moi, on pouvait choisir un livre à colorier – mon premier livre fut Zozo fait des omelettes – pendant ce temps la mère avait pris chez la chapelière – les mesures pour un chapeau, souvent avec une voilette. Le père portait aussi un chapeau, en feutre. Une fois, le vent l’avait pris dans la rivière à Pfetterhouse. Je le vois encore le repêcher avec une perche d’haricots. Sur le chemin du retour, on passait encore chez un paysan pour demander s’il avait encore un jars. Au printemps, quand les poules gloussaient, la mère en mettait une sur deux œufs d’oie. Au crépuscule, on était à la maison. Le père pour gouverner, et la mère pour apprêter le souper, faire du feu, réchauffer les bouillottes. Les enfants étaient bien fatigués. A 20 h 30, les parents disaient : il faut se remiser c’est vitement le matin. Un jour, les abeilles volaient, il y avait des perce-neige dans le jardin, et puis aussi un petit paquet sur la table de la cuisine. Expéditeur : Bureau de la circulation. Le printemps était là. Tout de suite le père accrochait le numéro BE 45761 à l’automobile en nous disant : le baromètre monte, dimanche il y aura du soleil. Nous irons promener en automobile. Où ? Eh bien, souvent au même lieu : les Rangiers. Les parents s’asseyaient sur un petit banc, au pied de la sentinelle. Ma sœur et moi, avec chacune quatre sous on achetait une glace à la vanille au petit kiosque d’en face. Quand le soleil était derrière la montagne, on prenait la direction de la Malcôte, en passant chez le sabotier de Cornol pour acheter deux nouvelles paires de sabots. Dans le courant de l’hiver, la mère avait aussi tricoté deux paires de chaussons. Maintenant, ce n’est pas la besogne qui manquera dans la campagne. Dans ces années-là, on vivait simplement. On a été des chanceux. Bonfol, année 1949