Publié : 27 juillet 2018

Chante mon beau patois !

Tchainte mon bé patois !

Jean-Marie Moine

Tchainte mon bé patois !

Vois quasi dous mille ans, te nachés sains ran dire. Le celt’ è pe l’ laitïn étïnt hèy’rous tot piein, Dains les tos premies djoués, t’ yôs smonjés tes sôrires, T’ eûvrôs chutôt tot grant tes arayes en yôs tchaints. C’ment l’ oûejé dains les tchaimps, di moiyou se neûrrât, Di mâçha d’ ces doues landyes, t’ saitchés tirie paitchi. Tes dous l’ hèy’rous pairents t’ léchainnent lai tchie-brida, Yote afaint crâchait dru, èls étïnt écâmis. En landye d’ Oïl dains l’ Jura, oh patois vôs tchaintïns, Dains les v’laidges dains les bôs, vôs bés tchaints émaîyïnt. En Oc, pus â médi, oh patois vôs dainsïns, Chus les vies chus les ponts, vôs tieulèes rélâdgïnt. Di temps d’ dous mille annèes, an t’ ont ôyi dyïndyaie, Poi not’ peupye dains lai djoûe, tot poitchot te tchaintôs. Dains l’ mâtemps dains lai poinne, an t’ ont ôyi pûeraie, Vés nôs dgens, dains l’malhèye, t’ étôs li, te lairmôs. A môtie po s’ mairiaie les djûenes coupyes s’ en allïnt, L’ soi des naces, ô patois, t’ étôs li, t’ les cheûyôs. A tiurie qu’ les bnâchait, ç’ ât dous âyes qu’ ès se dyïnt. Dains l’alcoffre, dains l’ grôs yét, yote aimoé te tchaintôs. Tiaind qu’ ïn djoué dains lai fanne, ïn p’tét coûe déraimait, Les mains chus ses coraîyes, en patois èlle prayait. Tot hèy’rou d’ le saivoi, l’ hanne â tchaimp s’ enritait, Emonduaint sains répét, Dûe en patois b’nâchait ! O patois t’ étôs li, â djoué qu’ l’afaint nachait, Pe âchi tiaind qu’ lai mére, ch’ son tiûere l’afaint preussait. Dains son bré l’ aiyeutchon tot bâl’ment s’endremait, Tiaind qu’ sai mére en patois, ènne bréçouse yi tchaintait. T’ és brecie lai djûenaince de l’ afaint qu’ grandéchait, T’ yi é aippris l’ nom des dgens, ces des bétes, ces des çhoés. T’ étôs li dains ses djûes, en patois è tchaintait L’ oûere lai bije, le sorâye, l’ âve di ru pe d’ lai mée. A djûen’ hanne t’ és bèyie tos les noms d’ lai bésaingne, Ces d’ lai tcheusse, de l’airouse, ces d’ lai vengne d’ lai moûechon. O patois t’ és çhoûeçhè és baîchattes le bon reingne, Dains lai bâme, ch’ le bacu, hyie encoé ch’ lai mâjon. O patois t’ és tchaintè dains l’ grôs fûe des béche-foués, Dôs l’ maitché di foûerdgeou, d’ aivô lu te fiôs. Les tirains di grôs m’lïn, l’ long di Doubs, tos les djoués Dôs lai foûeche se toûejïnt, d’ aivôs yôs, te couinnôs. Pus prés d’ nôs, è n’ y é dyère, hyie encoé te tchaintôs Dains lai vétçhaince d’ nôs péres, d’ ces qu’ encoé nôs s’ raipplans. Fies, boussès poi l’ ordyou, bïn des dgens t’ virant l’ dôs. Quoi ? L’ patois ! vôs étes fôs ! Mains è n’ sie pus è ran ! Chus not’ tiere di Jura, l’ soi, s’ croûejant d’ bés l’ arbois, Qu’ égaig’lant roudg’ è void dains l’ bieu cie qu’ nôs ainmans. C’ ât ïn pô c’ment l’aippeul d’ nôs véyes dgens que breûyant : « Che vôs piaît n’ rébièt’ pe, d’ faire tchaintaie note patois » ! J-M. Moine Mont’gnez pe Yovlie, le 22 d’ sèptembre 1999 Chante mon beau patois ! (traduction française) Il y a environ deux milles ans, tu naquis sans rien dire. Le celte et le latin étaient très heureux, Dans les tous premiers jours, tu leur offris tes sourires, Tu ouvrais surtout toutes grandes tes oreilles à leurs chants. Comme l’oiseau dans les champs, du meilleur se nourrit, Du mélange de ces deux langues, tu sus tirer parti. Tes deux parents heureux te laissèrent la liberté, Leur enfant croissait bien, ils étaient ébahis. En langue d’Oïl dans le Jura, oh patois vous chantiez, Dans les villages dans les forêts, vos beaux chants émaillaient. En Oc, plus au sud, oh patois vous dansiez, Dans les rues sur les ponts, vos couleurs réjouissaient. Pendant deux milles années, on t’a entendu résonner, Par notre peuple dans la joie, tout partout tu chantais. Dans le mauvais temps dans la peine, on t’a entendu pleurer, Vers nos gens, dans le malheur, tu étais là, tu versais des larmes. A l’église pour se marier les jeunes couples s’en allaient, Le soir des noces, ô patois, tu étais là, tu les suivais. Au curé qui les bénissait, c’est deux « âyes » qu’ils se disaient. Dans l’alcôve, dans le grand lit, leur amour tu chantais. Lorsqu’un jour dans la femme, un petit corps gesticulait, Les mains sur ses entrailles, en patois elle priait. Tout heureux de le savoir, l’homme aux champs courrait, Travaillant sans répit, Dieu en patois, il bénissait. O patois tu étais là, le jour où l’enfant naissait, Et aussi lorsque la mère, sur son cœur l’enfant pressait. Dans son berceau le nourrisson gentiment s’endormait, Quand sa mère, en patois, une berceuse lui chantait. Tu as bercé la jeunesse de l’enfant qui grandissait, Tu lui as appris les noms des gens, ceux des bêtes, ceux des fleurs. Tu étais là dans ses jeux, en patois il chantait Le vent la bise, le soleil, l’eau du ruisseau et de la mer. Au jeune homme tu as donné tous les noms du travail, Ceux de la chasse de l’araire, ceux des semailles de la moisson. O patois tu as appris aux jeunes filles le bon règne, Dans la grotte, sur la hutte, hier encore sur la maison. O patois tu as chanté dans le grand feu des bas fourneaux, Sous le marteau du forgeron, avec lui tu frappais. Les poutres du gros moulin, le long du Doubs, tous les jours Sous la force se tordaient, avec eux tu gémissais. Plus près de nous, il y a peu, hier encore tu chantais Dans l’existence de nos pères, de ceux dont nous nous souvenons encore. Fiers, poussés par l’orgueil, bien des gens te tournent le dos. Quoi ? Le patois ! vous êtes fous ! Mais il ne sert plus à rien ! Sur notre terre du Jura, le soir, se croisent de beaux arcs-en-ciel, Qui dispersent rouge et vert dans le ciel bleu que nous aimons. C’est un peu comme l’appel de nos vieilles gens qui crient : « S’il vous plaît n’oubliez pas de faire chanter notre patois » !