Publié : 22 juin 2018

Une personne de bon caractère

Ènne dgen de dyaî l’aigrun

Bernard Chapuis

Publié dans le Quotidien Jurassien le 22 juin 2018

Ènne dgen de dyaî l’aigrun

Ès n’étïnt p’ rètches, mains èls aivïnt le tiûere ch’ lai main. Yote mâjon était lai mâjon di bon Dûe. Yote poûetche eûvie en tus èt en n’impoétche quélle hoûere. Le pètlou était bïn r’ci, le beurlandou aittairdgie trovait tchie yôs lai moirande èt le dgîte. Lai grant-mére vétyait d’avô yôs dôs l’ meinme toit. Èlle était malkeusse èt s’ dépyaiçait dains ïn tchairrat è quaitre rûes. Po ran â monde ès n’airïnt v’lu lai botaie dains ènne mâjon. Aidé de bon l’aigrun, èlle prenyait lai vétyaince d’ lai boénne sens. Èlle péssait les tchâdes vâprèes â d’vaint, l’heus, chus son tchairrat. An entendait dâ loin ses écâçhèts. Élle ne râtait p’ de dire des driyôles. « Vôs saites, qu’èlle dyiait, dains not’ faimille, è y é brament de saints, mains ès n’ sont p’ dains l’almanach catholique. È y é sains-bïn, mon riere-grand-pére que v’nyait d’ France èt qu’aivait coégnu lai dyiere des traintchies. È y é sains-dûe, ïn oncha qu’était souetchi di Môtie. È y é sains-tiere, ïn tieujïn d’ mai mére que f’sait l’ paiyisain tchie les âtres. È y é sains-fûe-ne-yûe, ïn aiveinturie aidé ch’ les quaitre vies. È y é sains-nûebïn, qu’ n’é dj’mais ran poéyu aippâre. » Çte boénne dgen ne poéyait p’ demoéraie sains ran faire. C’ment qu’èlle aivait les tchaimbes poigeainnes, èlle écouvait lai tieujènne sietèe chu ènne sèllatte qu’èlle tyissait ch’ les planèlles. Çoli yi pregnait di temps. Le soi, èlle dyait : « I seus éroy’nèe. I seus d’moérèe sietèe tote lai vâprèe ènne écouve dains lai main. » Notes de dyaî l’aigrun, de bon caractère le beurlandou, le vagabond ses écâçhèts, ses éclats de rire des driyôles, des fariboles, des plaisanteries ---- Ecouter la chronique lue par Bernard Chapuis

Une personne de bon caractère

Ils n’étaient pas riches, mais ils avaient le cœur sur la main. Leur maison était la maison du bon Dieu. Leur porte ouverte à chacun et à n’importe quelle heure. Le mendiant était bien reçu, le vagabond attardé trouvait chez eux la table et le gîte. La grand-mère vivait avec eux sous le même toit. Elle était impotente et se déplaçait dans une chaise roulante. Pour rien au monde ils ne l’auraient placée dans une maison d’accueil. Toujours de bonne humeur, elle prenait la vie du bon côté. Elle passait les chauds après-midis dehors sur sa chaise roulante. On entendait de loin ses éclats de rire. Elle ne cessait de dire des plaisanteries. « Vous savez, disait-elle, dans notre famille, il y a beaucoup de saints, mais ils ne sont pas dans l’almanach catholique. Il y a sans-bien, mon arrière-grand-père venu de France et qui avait connu la guerre des tranchées. Il y a sans-dieu, un oncle sorti de l’Église. Il y a sans-terre, un cousin de ma mère qui faisait le paysan chez les autres. Il y a sans-feu-ni-lieu, un aventurier toujours sur les quatre chemins. Il y a sans-esprit, un simplet qui n’a jamais rien pu apprendre. » Cette brave personne ne pouvait pas rester désœuvrée. Comme elle avait les jambes lourdes, elle balayait la cuisine assise sur un siège bas qu’elle glissait sur les carreaux. Cela lui prenait du temps. Le soir, elle disait : « Je suis épuisée. Je suis restée assise tout l’après-midi un balai dans la main. » Note L’espiègle grand-mère joue avec les homonymes patois saint (saint) et sains (sans). Ce jeu de mots n’est pas transposable en français.