Publié : 18 mai 2018

Le remède contre l’ignorance

Le r’méde contre lai noéraince

Bernard Chapuis

Publié dans le Quotidien Jurassien le 18 mai 2018

Le r’méde contre lai noéraince

Le régent s’ fait di tieusain è prepôs di boûeba d’ lai Louise. « Qu’ât-ce qu’i veus faire de ci p’tèt ? É n’ sait ran. È n’comprend ran. Aidé dains lai yeune, è pésse son temps è raivoétaie poi lai f’nétre ou bïn è comptaie les moûetches di piaifond. » Tchie lai maîtrasse, çoli allait bïn, mains tchie l’ maître, ran n’ vait pus. Èl en é pavou ou bïn quoi ? Poétchaint, Môsieur Bèrberat n’ât p’ïn métchaint l’ hanne, èl ât coégnu po sai paitience. Mains las-moi, lai paitience n’é ran bèyie. Èl é éprevè d’aivô lai foûeche mainiere. Peuni ci poûere Albïn n’é ran bèyie non pus. Èl é dâli décidè de s’ fotre de lu. Crais bïn qu’dïnche è se v’lait révoiyie. Ïn djoué, què n’ saivait pe son livrât, qu’è n’ poyait p’ yére dous mots d’ cheute, è yi dit : -- Petèt, tïns, voili dous francs. Te rittes tchie l’aipothitçhaire qu’ât droit li à gâtche de l’écôle, èt peus te yi d’ maindes ènne pouss’rate de s’né, ïn saitchat. Mon Albïn tot content d“aibaind”naie ci yûe laivou qu’è s’ sent si malhèy’rou, chwantze c’ment ènne lievre. Èl entre dains lai phairmaicie. C’était ènne fanne que coégnéchait bïn l’ régent. Èlle avait fait quasi tote son écôle tchie lu. -- Ïn saitchat de pouss’rate de s’né ? Siete-te, Albïn, i t’ veus bèyie çoli tot comptant. Èlle vait drie èt peus r’vïnt d’aivô ïn saitchat. -- Çoli t’ fait dous francs, Albïn. Mon Albin paiye èt ritte encoé pus vite qu’en v’nyaint. -- Voili, Maître, vot’ saitchat de s’né. Le maître é tot ébâbi. -- C’ment donc ? Ès t’en aint byèyie ? -- Ô Maître. I yi aî bïn dit qu’ cétait po vôs. Note noéraince, ignorance ; noérian, ignorant ---- Ecouter la chronique lue par Bernard Chapuis

Le remède contre l’ignorance

Le garçon de Louise désespère l’instituteur. « Qu’est-ce que je vais faire de ce gamin ? Il ne sait rien. Il ne comprend rien. Toujours dans la lune, il passe son temps à regarder par la fenêtre ou à compter les mouches au plafond. » Chez la maîtresse, il s’en tirait encore, mais chez le maître, rien ne va plus. Est-ce la crainte ? Pourtant, Monsieur Berberat est bienveillant et patient. Sa patience jusqu’à ce jour a été inefficace. Il a tenté la manière forte. Punir ce pauvre Albin n’a pas eu plus d’effet. Il a décidé alors de pratiquer l’ironie. Une manière, discutable peut-être, de le tirer de sa torpeur. Un jour que l’écolier ne savait pas son livret, qu’il ne parvenait pas à lire deux mots d’affilée, il lui dit, excédé : -- Petit, tiens, voilà deux francs. Cours à la pharmacie toute proche et demande de l’intelligence en poudre, un sachet. Heureux de quitter ces lieux sinistres, Albin file comme le lièvre. Il entre dans la pharmacie. C’était une femme qui connaissait bien l’enseignant. Elle avait pratiquement accompli toute sa scolarité sous sa houlette. -- Un sachet d’intelligence en poudre ? Assieds-toi, Albin. Je t’apporte cela tout de suite. Elle va dans l’arrière-boutique et en revient un sachet à la main. Ça te fait deux francs, Albin. Le gosse paie et retourne au pas de course à l’école. -- Voilà, Monsieur, votre sachet. Le maître le regarde, étonné : -- Comment ? On t’en a donné ? -- Oui, Monsieur. J’ai précisé que c’était pour vous.