Publié : 15 juin 2017

L’enfance

L’ afaince

Jean-Marie Moine, Arc Hebdo juin 2017

L’ afaince Tiaind qu’i vois ïn afaint, çoli m’ fait tchâd à tiûere pe çoli m’ rélâdge tot comptant. Mains tiaind qu’ i préjime ïn pô c’ment qu’ è s’ tïnt, pe ç’ qu’ è fait, ç’ qu’ è dit, bïn ch’vent, ïn cheintimeint d’ mâlaîje m’ envayât. È y’ é quéques djoués, i étôs dains l’ train daivô mai fanne. Ïn boûebat pe sai mére étïnt sietè ch’ le baintchâ d’ âlong. L’ boûebat qu’ aivait è pô prés trâs ans, tchaibroyait des saingnes, des rongeons chus ènne feuye. È n’ aivait ran qu’ èn-ne tieulèe, di noi ! Çoli n’ m’ émaiyé p’, poch’ qu’ i n’ seus p’ yun d’ ces échprètscienchous qu’ predjant lai bôle tiaind qu’ ès voiyant ïn afaint graiy’naie âtçhe en noi ! Pe pus qu’ tiaind qu’ sai mére yi dié qu’ è n’avait p’ fait de s’raye, pe qu’ è tchaibroyè âtçhe que r’sannait en ïn noi s’raye, â béche d’ lai feuye ; è n’ y’ aivait pus d’ piaice â hât d’ lai feuye. En r’vaindge, i eus mâ â tiûre tiaind qu’ ïnsôlâbyement, ci p’tét diait en sai mére : « èl ât laivou papa ? », pe qu’ sai mére n’ yi bèyait p’ de réponche. Ç’ ât craibïn po faire dvèrchion en lai lainj’nainne répétichion des quèchtions d’ l’ afaint, qu’ sai mére soûetché d’ son sait ïn djûe d’ câtches. Tchétçhe câtche poétchait des meinmes oubjèctes â moitan d’ ènne ïnmaîdge. Â d’tchus d’ l’ ïnmaîdge était graiy’nè le nïmbre de ces oubjèctes (mathémâtitçhe saingne), dïnné que l’ aindyais nom d’ ci nïmbre. I aî tot comptant compris que ç’t’ afaint n’aivait piepe ènne nochion aich’bïn d’ l’ aindyaije laindye, que des mathémâtitçhes nïmbres. Ces câtches ne l’ ïntèrèchïnt pe pus qu’ çoli. È r’pregnait son noi graiyon po tchaibroyie quéques traits, obïn tirait des mains d’ sai mére ènne éyètronitçhe tâbiatte, pe sarrait â hésaîd, chus des toutches. Mains, aidé r’veniait lai quèchtion : èl ât laivoù papa ? Nôs étïns ch’ le point d’ airrivaie laivoù qu’ nôs daivïns déchendre di tren tiaind qu’ lai fanne môtré ènne câtche qu’ l’ ïnmaî-dge était ènne coulainnèe de cïntçhe botailles pe yi d’maindé ç’ que c’était. L’ afaint yi dit : « des botailles ». Cobïn d’ botailles qu’ èlle d’maindé ? L’ afaint ravoété sai mére sains saivoi réchpondre. I m’ seus dit qu’ èl était temps d’ édie ç’t’ afaint. Çhainnaint mai téte vés lu, i y’ çhôçhé en l’araye : dis en tai mére qu’ è y’ en é brâment. Son vésaidge s’ éçhérè d’ ïn bé è frainc sôri. Pe, è breuyé : Manman, manman, i sais : è y’ n’ é brâment… ! Tiaind qu’ nôs tçhittainnes le tren, è v’nié m’embraissie pe v’ lait m’ bèyie son bé graiy’naidge. I le r’mèchié pe i y’ dié : te sais, ton graiy’naidge ât che bé, qu’ è t’ le fât bèyie en tai mére. J-M. Moine

L’enfance

Quand je vois un enfant, cela me fait chaud au cœur et cela me réjouit immédiatement. Mais quand j’observe un peu comment il se tient, et ce qu’il fait, ce qu’il dit, bien souvent un sentiment de malaise m’envahit. Il y a quelques jours, j’étais dans le train avec ma femme. Un garçonnet et sa mère étaient assis sur la banquette d’à-côté. Le garçonnet qui avait environ trois ans gribouillait des signes, des bâtons sur une feuille de papier. Il n’avait rien qu’une couleur : du noir ! Cela ne m’étonna pas, parce que je ne suis pas un de ces psychologues qui perdent le nord quand ils voient un enfant dessiner quelque chose en noir. Pas plus que lorsque sa mère lui dit qu’il n’avait pas dessiné de soleil, et qu’il gribouilla quelque chose qui ressemblait à un soleil noir au fond de la feuille. En revanche, j’eus mal au cœur quand inlassablement, ce petit disait à sa mère : « il est où papa ? », et que sa mère ne lui donnait pas de réponse. C’est peut-être pour faire diversion à la lancinante répétition des questions de l’enfant, que sa mère sortit de son sac un jeu de cartes. Chaque carte portait des mêmes objets au milieu de l’image. Au-dessus de l’image était écrit le nombre de ces objets (signe mathématique), ainsi que le nom anglais de ce nombre. J’ai immédiatement compris que cet enfant n’avait aucune notion aussi bien de la langue anglaise que des nombres mathématiques. Ces cartes ne l’intéressaient pas plus que cela. Il reprenait son crayon noir pour gribouiller quelques traits, ou bien tirait des mains de sa mère une tablette électronique, et serrait au hasard sur des touches. Mais toujours revenait la question : il est où papa ? Nous étions sur le point d’arriver où nous devions descendre du train quand la femme montra une carte dont l’image était une rangée de cinq bouteilles, et lui demanda ce que c’était. L’enfant lui dit : « des bouteilles ». Combien de bouteilles demanda-t-elle ? L’enfant regarda sa mère sans savoir répondre. Je me suis dit qu’il était temps d’aider cet enfant. Inclinant ma tête vers lui, je lui soufflai à l’oreille : dis à ta maman qu’il y en a beaucoup. Son visage s’éclaira d’un beau et franc sourire. Et, il cria : Maman, maman, je sais qu’il y en a beaucoup… ! Quand nous quittâmes le train, il vint m’embrasser et voulait me donner son beau dessin. Je le remerciai et je lui dis :tu sais, ton dessin est si beau qu’il te faut le donner à ta mère. J-M. Moine